La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
vous le sachiez, vous avez perdu, voyez-vous, l’ami le plus fidèle qui ait jamais donné la main à un autre, et Perth a perdu le plus brave citoyen qui ait jamais manié une lame.
– Henry Smith ! Henry Smith ! s’écrièrent à la fois le père et la fille.
– Ah ! vous y voilà à la fin, dit Dorothée ; et à qui la faute si ce n’est à vous ? Vous avez fait tant de tapage sur ce qu’il avait accompagné une femme de joie, comme s’il eût fréquenté une juive !
Dorothée en aurait dit beaucoup plus long ; mais son maître cria à sa fille qui était encore dans sa chambre : – C’est un conte, Catherine ; ce n’est que du radotage de vieille folle. Rien de semblable n’est arrivé, je vais venir vous dire la vérité dans un moment. Et saisissant sa canne, le vieillard passa précipitamment devant Dorothée, et sortit dans la rue, ou les flots du peuple se portaient vers High-Street. Pendant ce temps Dorothée continua à murmurer entre ses dents : – Oui, va, ton père a une bonne tête ; fie-toi à lui. Il va revenir bientôt avec quelque bonne balafre qu’il aura reçue dans la bagarre ; et alors ce sera : – Dorothée, apporte de la charpie ; et, – Dorothée, prépare un emplâtre : mais à présent Dorothée n’est qu’une vieille fille radoteuse qui ne sait ce qu’elle dit, et qui invente des contes. Des contes ! Est-ce que le vieux Simon croit que la tête de Henry Smith était aussi dure que son enclume ? et avec cela, que tout un clan de Highlanders était à ses trousses !
Dans ce moment elle fut interrompue par l’arrivée d’un être d’un aspect angélique, dont l’œil fixe, les joues pâles, les cheveux en désordre et l’air d’égarement effrayèrent la bonne femme et lui firent oublier son humeur.
– Notre-Dame bénisse mon enfant ! dit-elle ; d’où vient donc l’état où je vous vois ?
– Navez-vous pas dit que quelqu’un était mort ? demanda Catherine d’une voix à peine articulée et d’un air incertain, comme si ses yeux et son oreille ne la servaient qu’imparfaitement.
– Oui, oui, mort et bien mort ! Nous ne le verrons plus nous jeter de sombres regards.
– Mort ! répéta Catherine avec une sorte de distraction effrayante, mort !… assassiné… et par des Highlanders ?
– Sans doute, par des Highlanders, les infâmes brigands ! Et quels autres tuent presque tout le monde, si ce n’est par-ci par-là lorsque les bourgeois se prennent de querelle et se tuent l’un l’autre, ou bien encore lorsque les nobles et les chevaliers sont à ferrailler ? Mais je parierais que ce sont les Highlanders cette fois-ci, car il n’y a pas un homme à Perth, laird ou paysan, qui eût osé attaquer Henry Smith face à face. Il y a eu de terribles machinations contre lui, allez. C’est ce que vous verrez quand on examinera la chose.
– Les Highlanders ! répéta Catherine, comme si elle était poursuivie par quelque idée qui troublait ses sens. – Highlanders ! Ô Conachar ! Conachar !
– Oui, oui, et j’ose dire que vous avez mis le doigt sur l’homme, Catherine. Ils se sont querellés, comme vous l’avez vu, la veille de Saint-Valentin, et ils se sont battus. Un Highlander a la mémoire longue pour ces sortes de choses. Donnez-lui un soufflet à la Saint-Martin, et sa joue lui démangera encore à la Pentecôte. Mais qui a pu engager ces maudits montagnards à descendre dans la ville pour y faire leur coup ?
– Hélas ! c’est moi, dit Catherine ; c’est moi qui ai fait descendre les Highlanders de leurs montagnes, moi qui envoyai chercher Conachar… Oui, ils se seront mis en embuscade ; mais c’est moi qui les ai amenés à portée de leur proie… Il faut que je voie de mes propres yeux… et ensuite… je sais ce que je ferai : dites à mon père que je serai de retour dans un instant.
– Avez-vous perdu la tête, mon enfant ? cria Dorothée au moment où Catherine s’élançait vers la porte. Vous ne voudriez pas aller courir la ville avec vos cheveux qui tombent sur vos joues, vous qui êtes connue pour la Jolie Fille de Perth. Bah ! la voilà déjà dans la rue ; arrive ce qui pourra et le vieux Glover va faire un joli train, comme si je pouvais la retenir bon gré mal gré. Voilà une belle matinée pour un mercredi des Cendres !… Que faire ?… aller chercher mon maître pour me faire écraser sous leurs pieds, sans que personne plaigne beaucoup la vieille
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