La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
une liqueur destinée à un jour de fête. – Le cidre et l’hydromel ne furent pas épargnés ; mais la boisson la plus générale fut l’ale dont on avait brassé une grande quantité pour cette occasion. On n’en but pourtant qu’avec une modération que ne connaissent guère les Highlanders modernes. Une coupe à la mémoire du chef défunt fut le premier toast qu’on porta lorsque le repas fut terminé ; et un murmure sourd de bénédictions se faisait entendre dans toute la compagnie, quand les moines unissant leurs voix entonnèrent un requiem. Un silence complet s’ensuivit comme si l’on eût attendu quelque chose d’extraordinaire. Alors Eachin se leva, monta au siége resté vacant avec un air mâle et fier, mais accompagné de modestie, et dit avec un ton de dignité et de fermeté :
– Je réclame, comme m’appartenant de droit, ce siége et l’héritage de mon père. Ainsi puissent m’être favorables Dieu et saint Barr !
– Comment gouvernerez-vous les enfans de votre père ? lui demanda un vieillard, oncle du défunt.
– Je les défendrai avec la claymore de mon père, et je leur rendrai justice sous la bannière de mon père.
Le vieillard, d’une main tremblante, tira du fourreau l’arme pesante ; et la prenant par la lame il en présenta la poignée au jeune chef. En même temps Torquil du Chêne déploya la bannière du clan et la fit flotter plusieurs fois sur la tête d’Eachin, qui avec autant de grâce que de dextérité, fit brandir son énorme claymore comme pour la défendre. Les convives poussèrent des acclamations bruyantes pour annoncer qu’ils acceptaient le chef patriarcal, et il n’y eut personne qui dans le jeune homme habile et plein de grâce qui était devant eux fût disposé à reconnaître celui dont la naissance avait donné lieu à de sinistres prédictions. Tandis qu’il était debout, couvert d’une brillante armure, appuyé sur le glaive et témoignant par des gestes gracieux sa reconnaissance des acclamations qui retentissaient dans la salle et sur toute la prairie, Simon Glover était tenté de douter que la figure majestueuse qu’il avait sous les yeux fût celle du même jeune homme qu’il avait souvent traité avec si peu de cérémonie, et il commença à craindre qu’il n’en résultât quelques conséquences fâcheuse pour lui. Un chœur général des instrumens de tous les ménestrels succéda aux acclamations, et les rochers et les bois répétèrent les sons joyeux des harpes et des cornemuses comme ils avaient répété peu auparavant les lamentations de la douleur.
Nous n’entrerons pas dans de plus longs détails sur cette fête d’inauguration ; nous passerons sous silence les toasts qu’on but en l’honneur des anciens héros du clan, et surtout aux vingt-neuf braves qui allaient bientôt combattre pour lui sous les yeux et sous les ordres de leur jeune chef. Les bardes, qui dans les anciens temps joignaient à leur fonction de poètes celle de prophètes, se hasardèrent à leur prédire la victoire la plus éclatante, et peignirent dans leurs chants la fureur avec laquelle le Faucon Bleu, emblème du clan de Quhele, mettrait en pièces le Chat de la Montagne, symbole bien connu du clan de Chattan.
Le soleil était sur le point de se coucher, quand une coupe en bois de chêne et cerclée en argent, qu’on appelait la Coupe de Grâce, fit le tour de la table pour donner aux convives le signal de se séparer. Cependant ceux qui désiraient prolonger la fête encore plus long-temps furent libres de se satisfaire en passant sous des hangars. Quant à Simon Glover, Booshalloch le conduisit à une petite hutte qui semblait avoir été construite pour l’usage d’un seul individu. Un lit de fougère et de mousse y avait été arrangé aussi bien que la saison le permettait, et une ample provision de mets semblables à ceux qui avaient été servis au festin prouvait qu’on avait eu dessein que rien ne pût lui manquer.
– Ne quittez pas cette hutte, dit Booshalloch en prenant congé de son ami, de son protégé ; c’est le lieu de repos qui vous est destiné ; mais on peut perdre son appartement dans une nuit de confusion semblable, et si le blaireau quitte son terrier le renard peut s’en emparer.
Cet arrangement ne fut nullement désagréable à Simon Glover. Le tumulte de cette journée l’avait fatigué, et il sentait le besoin de prendre du repos. Il mangea un morceau, but une coupe de vin pour
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