La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
coulée à fond par la hardiesse et l’impétuosité de ses manœuvres. Élevés à un rang éminent dans leur clan par l’avénement de leur frère de lait à la première dignité, ils témoignaient de cette manière tumultueuse et presque terrible la part qu’ils prenaient au triomphe de leur chef.
Beaucoup plus loin et avec des sentimens bien différens, au moins de la part d’un des individus qui s’y trouvaient, s’avançait la petite barque conduite par Booshalloch et un de ses fils, et sur laquelle Simon Glover était passager.
– Si nous devons aller jusqu’à l’extrémité du lac, dit Simon à son ami, il se passera bien des heures avant que nous y arrivions.
Tandis qu’il parlait ainsi et à un signal qui fut fait de la barge du chef, l’équipage de la barque des frères de lait, ou des Leichtachs, laissa ses rames jusqu’à l’instant où celle de Booshalloch arriva. Lui jetant alors une corde faite de courroies que Niel attacha à sa proue, les rameurs se remirent en besogne, et quoiqu’ils eussent la petite barque en remorque, ils fendirent l’eau du lac presque avec la même rapidité qu’auparavant. Le frêle esquif était entraîné avec une impétuosité qui semblait menacer de le faire chavirer, ou d’en arracher la proue.
Simon Glover vit avec inquiétude l’impétuosité furieuse de leur course, et la proue de la barque qu’il montait se baisser quelquefois à un pouce ou deux du niveau de l’eau. Son ami Niel Booshalloch avait beau l’assurer que tout cela se faisait en son honneur, il n’en désirait pas moins que la traversée se terminât promptement et heureusement. Ce fut ce qui arriva et plus tôt qu’il ne s’y attendait, car l’endroit où la fête devait se donner n’était qu’à quatre milles de distance de l’île où la sépulture avait eu lieu. On l’avait choisi pour faciliter la marche du chef qui devait partir du côté du sud-est aussitôt que le banquet serait terminé.
Une baie sur la côte méridionale du lac Tay présentait un beau rivage couvert d’un sable étincelant, où les barques pouvaient aborder aisément, et au-delà une prairie ornée d’un gazon assez vert pour la saison, autour de laquelle s’élevaient des montagnes couvertes d’arbres et de buissons : c’était sur cette prairie qu’on avait fait avec prodigalité tous les préparatifs pour la fête.
Les montagnards, bien connus par leur habileté à manier la hache, avaient construit pour le banquet une longue salle champêtre qui pouvait contenir deux cents hommes, et tout autour un grand nombre de huttes plus petites semblaient destinées pour y passer la nuit. Les poutres et les supports de ce grand bâtiment étaient de gros pins des montagnes, auxquels on avait laissé leur écorce. Les murs en étaient construits de planches épaisses de même bois, ou de plus petits arbres équarris, joints ensemble par des rameaux de sapin et d’autres arbres verts qu’on trouvait en abondance dans les bois voisins ; les Montagnes avaient fourni des bruyères pour en couvrir le toit. Ce fut dans ce palais champêtre que les personnages les plus importans furent invités à prendre place. Ceux d’un rang inférieur devaient être régalés sous divers hangars construits avec moins de soin, et des tables de gazon ou de planches brutes placées en plein air, étaient destinées à la multitude. Plus loin on voyait des brasiers de charbon ardent et des bûchers de bois enflammé, autour desquels des cuisiniers sans nombre tournaient, s’agitaient comme des démons travaillant dans leur élément. De grands trous creusés dans les flancs d’une montagne et garnis de pierres rougies au feu servaient à faire cuire des pièces immenses de bœuf, de mouton et de venaison. Des broches de bois soutenaient des moutons et des chevreaux qu’on faisait rôtir tout entiers. D’autres étaient coupés par morceaux, et on les faisait bouillir dans des chaudrons faits avec le cuir des animaux dont la chair allait garnir les tables. Enfin on faisait griller sur des charbons, avec plus de cérémonie, des brochets, des truites, des saumons et des chars {89} . Le gantier avait assisté à plus d’un banquet chez les montagnards, mais il n’en avait vu aucun dont les apprêts eussent été faits avec cette profusion barbare.
Il n’eut cependant que peu de temps pour admirer la scène qui l’entourait, car dès qu’ils furent sur le rivage, Booshalloch lui dit avec quelque embarras
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