La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
qui reste ; je me chargerai de nourrir ce malheureux prince, et vous irez lui chercher du secours. S’ils me tuent avant que vous reveniez, je vous laisse ma viole, et je vous recommande mon pauvre Charlot.
– Non, Louise, vous êtes une voyageuse plus privilégiée et plus expérimentée que je ne le suis. C’est vous qui partirez, et si vous me trouvez morte à votre retour, ce qui n’est pas impossible, portez à mon pauvre père cet anneau et cette boucle de mes cheveux, et dites-lui que Catherine est morte en cherchant à sauver le sang de Bruce. Donnez aussi cette autre boucle à Henry, en lui disant que Catherine a pensé à lui jusqu’à son dernier moment ; et s’il l’a trouvée trop scrupuleuse relativement à l’effusion du sang des autres, il verra que ce n’était point à cause du prix qu’elle attachait au sien.
Elles s’embrassèrent en sanglotant ; et elles passèrent le reste du jour jusqu’au soir à imaginer quelque meilleur moyen pour faire passer de la nourriture au prisonnier, et à construire un tube composé de roseaux creux s’emboîtant les uns dans les autres, pour pouvoir lui transmettre des liquides. La cloche du village de Falkland sonna enfin les vêpres. La laitière arriva avec ses seaux pour apporter la provision ordinaire de lait et pour raconter ou apprendre les nouvelles qui pouvaient courir. Dès qu’elle fut entrée dans l’office, Louise se jetant de nouveau dans les bras de Catherine et l’assurant d’une fidélité inviolable, descendit l’escalier en silence, portant Charlot sous son bras. Un moment après Catherine pouvant à peine respirer la vit passer d’un air fort tranquille sur le pont-levis, couverte de la mante de la laitière.
– Hé ! May Bridjet ! cria le portier ; vous vous en allez bien vite ce soir ! On ne rit guère à l’office, n’est-ce pas ? Maladie et gaîté ne vont pas de compagnie.
– J’ai oublié mes tailles, répondit la Provençale avec une présence d’esprit admirable ; je vais les chercher, et je reviens en moins de temps qu’il n’en faudrait pour écrémer une terrine de lait.
Elle continua sa marche, évita de passer par le village de Falkland, et prit un petit sentier qui traversait le parc. Catherine respira plus librement, et rendit grâces à Dieu, quand elle la vit disparaître dans l’éloignement. Elle passa pourtant encore dans quelque inquiétude l’heure qui s’écoula avant qu’on s’aperçût de l’évasion de Louise ; ce qui arriva aussitôt que la laitière ayant employé une heure à faire ce qu’elle aurait pu terminer en dix minutes, découvrit en se disposant à partir que sa mante de frise grise avait disparu. On fit sur-le-champ une recherche exacte, et enfin les servantes de la maison se rappelèrent la chanteuse, et commencèrent à soupçonner qu’elle pouvait fort bien avoir voulu se procurer une mante neuve en remplacement d’une vieille. Le portier questionné soutint qu’il avait vu partir la laitière immédiatement après le dernier coup de vêpres, et la laitière se présentant elle-même pour démentir cette assertion, il ne trouva d’autre alternative que de dire que c’était le diable qui en avait pris la place.
Néanmoins, comme on chercha inutilement la chanteuse dans tout le château, on devina aisément la vérité ; et l’intendant alla avertir sir John Ramorny et Dwining, qui étaient alors presque inséparables, qu’une des captives s’était évadée. La moindre chose éveille les soupçons des coupables. Ils se regardèrent l’un et l’autre d’un air consterné, et se rendirent ensemble sur-le-champ dans l’humble appartement de Catherine, afin de la prendre par surprise autant que possible, et de l’interroger sur le fait de la disparition de Louise.
– Où est votre compagne, jeune femme ? dit Ramorny d’un air de gravité sévère.
– Je n’ai pas de compagne ici, répondit Catherine.
– Ne plaisantez pas ! reprit le chevalier. Je vous parle de la chanteuse qui habitait cette chambre avec vous.
– Elle est partie, à ce qu’on dit, répondit Catherine, partie il y a environ une heure.
– Et où est-elle allée ? demanda Dwining.
– Comment saurais-je de quel côté peut porter ses pas une femme errante par profession ? répondit Catherine. Elle était sans doute ennuyée de mener une vie solitaire, si différente de celle que lui offrent les danses, les festins et toutes les scènes joyeuses que lui
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