La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
Patrice se retira, bien convaincu qu’il s’était acquitté des fonctions de consolateur de la manière la plus satisfaisante.
Le malheureux amant apprit cette nouvelle et écouta ce commentaire avec des sentimens bien différens.
– Le prévôt, se dit-il avec amertume, est un excellent homme ; et certes il fait sonner si haut sa chevalerie, que s’il dit des sottises, un pauvre homme doit les regarder comme des paroles pleines de bon sens, de même qu’il faut qu’il fasse l’éloge de la petite bière, si on lui en présente dans le gobelet d’argent de Sa Seigneurie. Que signifierait tout cela dans une autre situation ? Supposez que je roulasse du haut en bas de Corrichie Dhu, et qu’avant d’être tombé au pied de ce rocher escarpé j’entendisse milord prévôt arriver en me disant : Henry, le précipice est profond, et je suis fâché de vous dire que vous êtes en bon chemin d’y tomber. Mais ne perdez point courage, le ciel peut vous envoyer une pierre ou un buisson pour vous arrêter. Cependant j’ai cru que ce serait une consolation pour vous de savoir le pire qui peut vous arriver. Je ne sais trop, à quelques centaines de pieds près, quelle est la profondeur du précipice, mais vous pourrez vous en faire une idée quand vous serez au fond. Et écoutez, quand viendrez-vous faire une partie de boules ? Et tout ce verbiage doit-il tenir lieu de quelque tentative amicale pour empêcher un pauvre diable de se rompre le cou ? Quand je pense à cela, je suis prêt à perdre l’esprit, et je serais tenté de prendre mon marteau et de tout briser autour de moi. Mais je serai calme, et si cet épervier des montagnes, qui se prétend un faucon, s’abat sur ma tourterelle, il apprendra qu’un bourgeois de Perth est en état de bander un arc.
C’était alors le jeudi qui précède le dimanche de Rameaux ; et les champions des deux clans ennemis devaient arriver le lendemain, afin d’avoir le samedi pour se reposer, se rafraîchir, et se préparer au combat. Deux ou trois individus de chaque parti étaient venus d’avance pour prendre des arrangemens pour le campement de leurs compagnons, et recevoir les instructions convenables sur l’ordre dans lequel ils devaient se présenter au combat. Henry ne fut donc pas très surpris de voir un grand et vigoureux montagnard entrer dans le Wynd où il demeurait, et jeter ses regards de tous côtés à peu près comme les habitans d’un pays sauvage examinent les curiosités d’une contrée plus civilisée. Smith le regarda de mauvais œil, non-seulement à cause de son pays en général contre lequel il avait naturellement des préventions, mais surtout parce qu’il le voyait porter le plaid particulier au clan de Quhele ; une branche de chêne brodée en soie indiquait aussi que cet individu était un des gardes personnels du jeune Eachin, sur les efforts desquels on comptait surtout pour le succès du combat.
Après avoir fait ces observations, Henry se retira dans sa forge, car la vue de cet homme lui échauffait la bile ; et sachant que ce montagnard venu pour être un des champions d’un combat solennel ne pouvait devenir l’objet d’une querelle privée, il voulut du moins éviter d’avoir aucune relation amicale avec lui. Cependant au bout de quelques minutes la porte de son atelier s’ouvrit, et ce montagnard laissant flotter son plaid de manière à relever encore la hauteur de sa taille, entra dans la forge avec la démarche fière d’un homme qui se sent une dignité bien supérieure à tout ce qu’il va rencontrer. Il s’arrêta en entrant, et regarda autour de lui, semblant s’attendre à être reçu avec courtoisie et regardé avec admiration. Mais Henry n’était nullement disposé à satisfaire sa vanité, et il continua à battre une cuirasse qui était sur son enclume, comme s’il ne se fût pas aperçu qu’il n’était plus seul.
– N’êtes-vous pas le Gow Crom (c’est-à-dire le forgeron aux jambes torses) demanda le montagnard.
– C’est ainsi que m’appellent ceux qui veulent avoir l’épine du dos tordue, répondit Smith.
– Je n’ai pas dessein de vous offenser. Je viens pour acheter une armure.
– En ce cas vos jambes nues peuvent vous conduire hors d’ici. Je n’en ai point à vendre.
– Si nous n’étions pas à deux jours du dimanche des Rameaux, je vous apprendrais à chanter sur un autre ton.
– Et comme nous sommes au jour d’aujourd’hui, répliqua Henry avec le
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