La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
deux fois aussi pesant que celui que le montagnard avait choisi comme étant d’un poids extraordinaire. Norman le regarda d’un air surpris, mais son étonnement augmenta quand Henry, se mettant en position, donna le branle un instant à ce lourd instrument qui partit de sa main comme s’il eût été lancé par une machine de guerre. On entendit siffler l’air à travers lequel volait cette masse énorme. Elle tomba enfin, et le fer s’en enfonça d’un pied dans la terre, près d’une toise au-delà de l’endroit où le marteau de Norman était tombé.
Le montagnard, vaincu et mortifié, alla ramasser le marteau, le pesa dans sa main, et l’examina avec attention comme s’il se fût attendu à découvrir dans cet instrument quelque chose de différent d’un marteau ordinaire. Enfin il le rendit à Smith avec un sourire mélancolique.
– Ferez-vous mieux ? lui demanda Henry à son tour.
– Norman a déjà trop perdu à ce jeu, répondit le montagnard en levant les épaules et en secouant la tête ; il a perdu son propre nom d’homme à marteau. Mais le Gow Chrom travaille-t-il réellement à son enclume avec cette masse de fer qui ferait la charge d’un cheval ?
– C’est ce que vous allez voir, confrère, répondit Henry en le reconduisant dans sa forge. – Dunter, dit-il alors, place-moi sur l’enclume cette barre de fer qui est dans la fournaise. Prenant alors un marteau monstrueux, celui qu’il appelait Samson, il se mit à battre le métal, tantôt de la main droite, tantôt de la gauche et quelquefois des deux en même temps, avec tant de force et de dextérité, qu’il forgea un petit fer à cheval en la moitié de temps qu’un forgeron ordinaire aurait employé pour en faire un avec un outil plus facile à manier.
– Oigh ! Oigh ! s’écria le montagnard. Mais pourquoi voudriez-vous vous battre contre notre chef, qui est d’un rang bien au-dessus du vôtre, quand vous seriez le meilleur forgeron qui ait jamais travaillé à l’aide du vent et du feu ?
– Écoutez-moi, dit Henry, vous m’avez l’air d’un bon diable, et je vous dirai la vérité. Votre maître m’a outragé, et je lui donne cette armure de bon cœur pour avoir la chance de le combattre.
– S’il vous a outragé il vous doit une rencontre, dit le garde du corps montagnard. Un outrage fait à un homme renverse la plume d’aigle de la toque du chef. Quand il serait le premier chef de toutes nos montagnes, – et c’est bien ce qu’est Eachin, – il faut qu’il combatte celui qu’il a outragé, ou il perd une rose de sa guirlande.
– L’engagerez-vous à le faire après le combat de dimanche ?
– Je ferai de mon mieux, si les faucons ne sont pas occupés à ronger mes os ; car il est bon que vous sachiez, confrère, que le clan de Chattan a des griffes qui pénètrent profondément.
– Je donne cette armure à votre chef à cette condition ; mais je lui ferai honte en face du roi et de toute la cour, s’il ne m’en paie pas le prix convenu.
– Ne craignez rien ! ne craignez rien ! je l’amènerai moi-même au combat ; soyez-en bien assuré.
– Vous me ferez plaisir ; et pour que vous vous rappeliez cette promesse, je vous fais présent de ce dirk {101} . Regardez-le bien ! Si vous le tenez d’une main ferme et que vous frappiez votre ennemi entre le bas de son casque et le haut de son hausse-col, il n’aura pas besoin de chirurgien.
Le montagnard fut prodigue de remerciemens et se retira.
– Je lui ai donné la meilleure cotte de mailles que j’aie jamais fabriquée, se dit l’armurier à lui-même, se repentant presque de sa libéralité, pour la chance qu’il obtiendra de son chef la faveur de se mesurer avec moi ; et alors que Catherine appartienne à celui qui la gagnera de bon jeu. Mais je crains bien que le jeune chef ne trouve quelque prétexte pour s’en dispenser, à moins qu’il n’ait assez de bonheur, le dimanche des Rameaux, pour vouloir essayer un autre combat. Il y a quelque espoir cependant ; car j’ai vu quelquefois un novice qui n’était qu’un nain avant d’avoir tiré l’épée pour la première fois devenir ensuite un tueur de géans.
Ce fut ainsi, avec peu d’espoir, mais armé de la résolution la plus déterminée, que Henry Smith attendit l’instant qui devait décider de son destin. Ses pressentimens les plus fâcheux venaient du silence de Glover et de sa fille. Ils sont honteux de m’avouer la vérité,
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