La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
les présens que lui a faits la ville, jusqu’à ce qu’on voie s’il en a perdu le souvenir.
– C’est ce que je dis, s’écria Proudfute du haut de sa grande jument. Nous autres bonnes lames, nous n’avons pas l’esprit assez bas pour compter le vin et les noix que nous donnons à un ami comme sir Patrice Charteris. Croyez-moi, un bon chasseur comme sir Patrice doit regarder comme un grand privilége le droit de chasser sur les terres de la ville, droit qui, à l’exception de Sa Majesté, n’est jamais accordé à noble ni à roturier, et dont jouit seul notre prévôt.
Tandis que le bonnetier parlait encore, on entendit sur la gauche : – so ! – so ! – waw ! – waw ! – haw ! ce qui est le cri du chasseur à son faucon.
– Je crois, dit l’armurier, que voici un drôle qui use du privilége dont vous parlez, et à en juger par l’apparence, il n’est ni roi ni prévôt.
– Oui, sur ma foi je le vois, dit le bonnetier qui crut que cette circonstance lui présentait une occasion favorable pour acquérir de l’honneur. Piquons vers lui vous et moi, brave Smith, et demandons-lui de quel droit il chasse sur les terres de la ville.
– Partons donc ! s’écria Henry ; et son compagnon donnant un coup d’éperon à sa jument, partit en avant, ne doutant pas que Smith ne fût sur ses talons.
Mais Craigdallie retint par la bride le cheval de l’armurier. – Reste à la garde de l’étendard, lui dit-il, et voyons quelle fortune aura notre chevau-léger. S’il se fait donner quelque bon horion, il en sera plus tranquille le reste du jour.
– D’après ce que je vois déjà, répondit Henry, c’est ce qui pourra bien lui arriver. Ce drôle s’arrête pour nous regarder impudemment comme s’il avait le meilleur droit du monde de chasser sur ces terres. D’après le cheval qu’il monte, son bonnet de fer rouillé surmonté d’une plume de coq et son long sabre à deux mains, il semble être au service de quelque lord du côté du sud. Il m’a tout l’air d’être un de ces gens qui demeurent si près de l’Angleterre qu’ils ont toujours la cuirasse sur la poitrine, et dont les mains sont aussi libérales de leurs coups que leurs doigts sont crochus pour le pillage.
Tandis qu’ils raisonnaient ainsi sur les suites de cette rencontre, le vaillant bonnetier commença à ralentir le pas de Jézabel, pour que Smith, qu’il supposait toujours derrière lui, pût le rejoindre et s’avancer le premier, ou du moins sur le même rang que lui. Mais quand il le vit à trois cents pas de distance, arrêté avec ses autres compagnons, la chair du champion de Perth, comme celle du vieux général espagnol, commença à frissonner de crainte des dangers auxquels son esprit aventureux pouvait l’exposer. Cependant se rassurant par l’idée du voisinage de ses amis, espérant que leur nombre intimiderait un braconnier qui se trouvait seul, et honteux de renoncer à une entreprise dont il s’était volontairement chargé, il résista à la forte tentation qui le portait à faire faire volte-face à Jézabel et à retourner de toute la vitesse de sa monture vers les amis sous la protection desquels il aurait voulu être encore. Il continua donc à marcher vers l’étranger, et son alarme augmenta considérablement en le voyant mettre son bidet au grand trot pour avancer à sa rencontre. En observant ce mouvement en apparence offensif, notre héros regarda plus d’une fois par-dessus son épaule gauche, comme s’il eût voulu reconnaître le terrain pour battre en retraite, et en attendant, il fit halte. Mais le Philistin arriva près de lui avant que le fabricant de bonnets eût pu se décider à fuir ou à combattre, et c’était un Philistin à mine de mauvais augure. Il était de grande taille ; son visage était balafré par deux ou trois grandes cicatrices ; et tout son extérieur lui donnait l’air d’un homme habitué à dire aux passans : – La bourse ou la vie !
Cet individu commença la conversation en s’écriant d’un ton aussi sinistre que ses regards : – Le diable vous emporte, coucou que vous êtes ! Pourquoi venez-vous à travers le marécage pour me troubler dans ma chasse ?
– Digne étranger, répondit notre ami sur le ton d’une remontrance pacifique, je me nomme Olivier Proudfute, bourgeois de Perth et homme respectable ; et vous voyez à peu de distance l’honorable Adam Craigdallie, doyen des baillis de la même ville, avec le
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