La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
d’un tel nombre d’hommes armés éloigna le pillard de sa proie. Il s’arrêta pourtant à quelque distance pour les regarder, comme le loup qui, quoiqu’il fasse retraite devant les chiens, ne peut pourtant se décider à une fuite complète.
Henry, voyant cet état de choses, donna un coup d’éperon à son cheval et se porta en avant de ses compagnons vers la scène du désastre d’Olivier Proudfute. Son premier soin fut d’arrêter Jézabel par la bride ; son second de la reconduire vers son maître qui s’avançait vers lui, ses habits couverts de boue et ses yeux pleins de larmes arrachées par la douleur et la mortification. Il offrait un aspect si différent de son air d’importance, de jactance et d’ostentation, que l’honnête armurier ne put s’empêcher d’éprouver de la compassion pour le petit homme, et quelques remords pour l’avoir laissé exposé à cet accident. Il n’est personne, je crois, qui ne trouve quelque plaisir à une mauvaise plaisanterie ; la différence c’est qu’un homme méchant goûte sans remords l’amusement qu’il y trouve, tandis que celui qui est doué d’un meilleur naturel oublie bientôt le côté ridicule de la chose pour ne songer qu’à la peine de celui qui souffre.
– Que je vous aide à vous remettre en selle, voisin, dit Smith en descendant de cheval pour aider Olivier à grimper sur sa jument à peu près comme aurait pu le faire un singe.
– Que Dieu vous pardonne de ne pas m’avoir soutenu, voisin Smith ! Je ne l’aurais jamais cru, quand cinquante témoins dignes de foi me l’auraient attesté sous serment.
Telles furent les premières paroles prononcées avec plus de chagrin que de colère, par lesquelles Olivier déconcerté exhala ses plaintes.
– Le bailli retenait mon cheval par la bride. Et d’ailleurs, dit Henry avec un sourire qui lui échappa en dépit de sa compassion, je croyais que vous m’auriez reproché de vouloir vous dérober une partie de votre honneur, si j’étais venu vous aider contre un homme seul. Mais consolez-vous le brigand a profité de ce que votre cheval s’est montré rétif.
– C’est la vérité ! c’est la vérité ! dit Olivier, saisissant avec empressement cette excuse.
– Et voilà ce malfaiteur qui se réjouit du mal qu’il a fait et qui triomphe de votre chute, comme le roi du roman, qui jouait du violon pendant qu’une ville était en flammes {51} . Viens avec moi, et tu verras comme nous l’arrangerons. Viens, viens ! Ne crains pas que je t’abandonne pour cette fois.
À ces mots il saisit la bride de Jézabel, et la faisant galoper à côté de son cheval sans donner à Olivier le temps de lui dire que cette poursuite n’était pas de son goût, il courut vers Dick du Diable, qui s’était arrêté sur une petite hauteur à quelque distance. Cependant le noble Johnstone, soit qu’il jugeât que le combat serait inégal, soit qu’il crût en avoir assez fait pour un jour, fit claquer ses doigts et étendit le bras avec un air de bravade ; après quoi il fit entrer son cheval dans le marécage voisin, dans lequel il semblait se diriger avec l’instinct d’un canard sauvage, faisant voltiger son leurre autour de sa tête et sifflant son faucon, quoique tout autre cheval et tout autre cavalier eussent couru le risque de s’enfoncer dans quelque fondrière de manière à ne pouvoir s’en tirer.
– Voilà un vrai maraudeur de marécage, s’écria l’armurier. Le drôle combattra ou fuira suivant son bon plaisir, et il est aussi inutile de le poursuivre que si c’était une oie sauvage. Il vous a pris votre bourse sans doute, car ces brigands ne s’en vont jamais que les mains pleines ?
– Oui… oui, dit Proudfute d’un ton mélancolique ; il m’a pris ma bourse, mais ce n’est que demi-mal, puisqu’il m’a laissé ma gibecière.
– Sans doute, la gibecière eût été pour lui un emblème de victoire, un trophée, comme disent les ménestrels.
– Il s’y trouve quelque chose de plus important, l’ami, dit Olivier d’un ton expressif.
– Oui ? tant mieux, voisin. J’aime à vous entendre reprendre votre ton magistral. Allons, consolez-vous ; vous avez vu fuir le coquin, et vous avez regagné les trophées que vous aviez perdus quand vous vous trouviez sans défense.
– Ah ! Henry Gow !… Henry Gow ! s’écria le bonnetier. Et il s’interrompit en poussant un profond soupir, qui aurait pu passer pour un
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