La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
avoir envoyé quelqu’un pour avertir sir Patrice Charteris que le doyen des baillis de Perth, avec quelques autres bons citoyens de cette ville, approchaient du château. Le bon chevalier, qui se préparait à sortir pour chasser au faucon, apprit cette nouvelle à peu près comme le moderne représentant d’un bourg apprend qu’il est menacé de la visite d’une partie de ses mandataires dans un moment où il ne lui convient pas de les recevoir, c’est-à-dire qu’il envoya tout bas les intrus au diable, tandis qu’il donnait tout haut des ordres pour qu’on les reçût avec tout le décorum et toute la civilité convenables. Il commanda à ses écuyers tranchans de servir sur-le-champ dans la grande salle des tranches de venaison grillées et des viandes froides, et à son sommelier de percer des tonneaux et de faire son devoir ; car si la belle ville de Perth remplissait quelquefois sa cave, les citoyens étaient de leur côté toujours prêts à vider ses flacons.
On introduisit respectueusement les bons bourgeois dans la grande salle, où le chevalier qui était en habit de chasse avec des bottes qui lui montaient à mi-cuisses les reçut avec un mélange de politesse et de condescendance protectrice, désirant intérieurement qu’ils fussent tous au fond du Tay au lieu de venir interrompre l’amusement auquel il se proposait de consacrer la matinée. Il s’avança vers eux jusqu’au milieu de la salle, la tête nue et la toque à la main, et les salua à peu près en ces termes :
– Ah ! maître bailli Craigdallie, digne Simon Glover, pères de la belle ville ;… et vous, brave Smith, et mon docte apothicaire… et vous aussi, mon fringant bonnetier, qui fendez plus de têtes que vous n’en couvrez, comment se fait-il que j’aie le plaisir de voir tant d’amis de si bonne heure ? J’avais dessein de donner le vol à mes faucons, et votre compagnie rendra ce divertissement encore plus agréable (fasse Notre-Dame, pensa-t-il, qu’ils se rompent le cou !), c’est-à-dire à moins que la ville n’ait quelques ordres à me donner. – Sommelier Gilbert, dépêche-toi, drôle. – Mais j’espère que votre arrivée n’a pas de motif plus sérieux que de voir si le malvoisie conserve encore son bouquet.
Les délégués de la ville répondirent aux civilités de leur prévôt par des inclinations de tête plus ou moins caractéristiques. Celle de l’apothicaire fut la plus basse, et celle de l’armurier la moins cérémonieuse. Probablement ce dernier connaissait sa propre valeur. Le bailli Craigdallie se chargea de répondre pour toute la députation.
– Sir Patrice Charteris, notre lord prévôt, dit-il d’un ton grave, si nous n’avions eu d’autre but que de jouir de l’hospitalité avec laquelle vous nous avez si souvent accueillis, notre savoir-vivre nous aurait appris à attendre une invitation comme en d’autres occasions. Quant à la chasse au vol, nous en avons eu assez pour une matinée, car chemin faisant nous avons rencontré un drôle qui chassait avec son faucon sur les marécages de la ville, et qui a désarçonné et maltraité notre ami Olivier le bonnetier, ou Proudfute comme on le surnomme, uniquement parce qu’il lui demandait, en votre nom et en celui de la ville, qui il était pour se permettre une pareille licence.
– Et quel compte a-t-il rendu de lui-même ? demanda le prévôt. Par saint Jean ! j’apprendrai à ce drôle à chasser sur mes brisées !
– Votre Seigneurie voudra bien faire attention, dit le fabricant de bonnets, qu’il a profité d’une chute que j’avais faite de cheval. Mais je me suis remis en selle, et je l’ai vigoureusement poursuivi. Il dit qu’il se nomme Richard-le-Diable.
– Comment ! dit le prévôt ; celui dont il est parlé dans tant de ballades et de romances ? Je croyais que ce preux se nommait Robert.
– Je crois que ce n’est pas le même, milord, répondit Olivier ; j’ai seulement fait l’honneur à ce drôle de lui donner son nom tout entier, car dans le fait, il s’est donné celui de Dick du Diable {52} , ajoutant qu’il était un Johnstone et à la suite du lord du même nom. Mais je l’ai fait fuir dans le marécage, et j’ai recouvré ma gibecière qu’il m’avait prise quand je ne pouvais me défendre.
Sir Patrice réfléchit un instant. – Nous avons entendu parler du lord de Johnstone et de ceux qui le suivent, dit-il ; il y a peu de chose à gagner à se mêler de
Weitere Kostenlose Bücher