La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
l’accompagnaient virent que l’armurier avait rejoint le bonnetier désarçonné, et que l’étranger avait battu en retraite, ils ne se donnèrent pas la peine d’avancer plus loin pour secourir Olivier, jugeant que la présence du redoutable Henry Gow le mettait en toute sûreté. Ils reprirent donc le chemin direct de Kinfauns, désirant que rien ne retardât l’exécution de leur mission. Comme il s’était passé quelque temps avant que le marchand de bonnets et le fabricant d’armures les eussent rejoints, le bailli leur demanda, en s’adressant particulièrement à Henry, pourquoi ils avaient perdu un temps précieux en poursuivant le braconnier jusque sur la hauteur.
– Sur ma foi ! ce n’est pas ma faute, maître bailli, répondit Smith. Si vous accouplez un lévrier ordinaire des basses-terres avec un chien-loup des montagnes, vous ne devez pas blâmer le premier s’il court du côté par où l’autre l’entraîne. C’est littéralement ce qui m’est arrivé avec mon voisin Olivier Proudfute. Dès qu’il se fut relevé il monta sur sa jument avec la rapidité de l’éclair, et enragé du lâche avantage que ce brigand avait pris de sa chute de cheval, il courut après lui comme un dromadaire. Il fallait bien que je le suivisse, tant pour prévenir une seconde chute que pour défendre notre champion, notre vaillant ami, en cas qu’il lui fût dressé quelque embûche sur le sommet de cette hauteur. Mais le coquin, qui est à la suite de quelque lord des frontières, et qui porte sur l’épaule un éperon ailé pour marque de reconnaissance, a fui notre voisin comme le feu s’échappe du caillou.
Le doyen des baillis de Perth écouta avec surprise la légende qu’il plaisait à Smith de faire circuler ; car quoiqu’il se souciât fort peu de connaître la vérité à cet égard, il avait toujours douté des récits romanesques que faisait le bonnetier de ses propres exploits ; et d’après ce qu’il venait d’entendre, il devait les regarder jusqu’à un certain point comme orthodoxes. Le vieux et malin gantier vit plus clair dans cette affaire.
– Tu rendras fou le pauvre bonnetier, dit-il tout bas à Henry. Il fera claquer son fouet comme s’il sonnait la cloche de la ville pour une réjouissance, quand par égard pour l’ordre et le décorum il vaudrait mieux qu’il gardât le silence.
– Par Notre-Dame ! père Glover, répondit l’armurier, j’aime ce petit fanfaron, et je ne pouvais supporter l’idée qu’il resterait honteux et en silence dans un coin de la salle du prévôt, tandis que les autres, et notamment cet empoisonneur d’apothicaire, diraient tout ce qui leur passerait par l’esprit.
– Tu es trop bon, Henry, répliqua Simon. Mais remarque la différence entre ces deux hommes. Ce petit bonnetier, qui ne fait de mal à personne, se donne les airs d’un dragon pour cacher sa poltronnerie naturelle ; tandis que l’apothicaire se montre humble, timide et circonspect, pour voiler son caractère dangereux. La vipère qui se tapit sous une pierre n’en a pas moins un venin mortel. Je te dis, mon fils Henry, qu’avec son air rampant et ses manières craintives, ce squelette ambulant aime à faire le mal plus qu’il ne craint le danger. – Mais nous voici en face du château du prévôt, et il faut convenir que Kinfauns est une habitation digne d’un lord. C’est un honneur pour la ville d’avoir pour premier magistrat le propriétaire d’un si beau château.
– C’est vraiment une bonne forteresse, dit l’armurier en regardant le large Tay coulant au pied de la hauteur sur laquelle s’élevait le château, comme s’élève le château plus moderne qui lui a succédé et qui semblait le roi de la vallée, quoique de l’autre côté du fleuve les fortes murailles d’Elcho semblassent lui disputer la prééminence. Elcho était pourtant à cette époque un paisible couvent, et les murs qui l’entouraient servaient de barrière à des vestales isolées du monde, et n’étaient pas les boulevards d’une garnison armée. – C’est un excellent château-fort, dit encore Henry en levant les yeux sur les tours de Kinfauns ; c’est le bouclier et la cuirasse du cours du Tay. Il faudrait ébrécher plus d’une bonne lame avant de pouvoir y pénétrer de force.
Le portier de Kinfauns, ayant reconnu de loin les personnages qui se présentaient et leur qualité, avait déjà ouvert la porte de la cour pour les faire entrer, après
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