La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
considération l’heure et le lieu. Quand ils traversèrent la rue, l’étranger la traversa aussi, et s’ils accéléraient ou ralentissaient le pas, il ne manquait pas d’en faire autant. Cette circonstance aurait paru peu importante à Glover s’il eût été seul ; mais la beauté de sa fille pouvait le rendre l’objet de quelque projet criminel, dans un pays où la protection des lois était un bien faible secours pour ceux qui n’avaient pas les moyens de se protéger eux-mêmes. Conachar et sa belle compagne étant arrivés à la porte de leur maison, qui leur fut ouverte par une vieille servante, le gantier se trouva hors de toute inquiétude. Déterminé pourtant à s’assurer, s’il était possible, s’il avait eu quelque motif pour en concevoir, il appela à haute voix l’homme dont les mouvemens avaient donné l’alarme, et qui s’arrêta, quoiqu’il semblât chercher à se tenir à l’ombre. – Allons ! allons ! avance, l’ami ! et ne joue pas à cache-cache. Ne sais-tu pas que ceux qui se promènent dans les ténèbres comme des fantômes, sont exposés à la conjuration du bâton ? Avance ! te dis-je, et laisse nous voir ta forme.
– Bien volontiers, maître Glover, dit une des voix les plus fortes qui aient jamais répondu à une question ; je suis tout disposé à vous montrer mes formes ; je voudrais seulement qu’elles pussent mieux supporter le jour.
– Sur mon âme, je connais cette voix ! s’écria Simon. Et est-ce bien toi, véritablement toi, Henry Gow ? Sur ma foi ! tu ne passeras pas cette porte sans humecter tes lèvres. Le couvre-feu n’est pas encore sonné {26} , et quand il le serait, ce ne serait pas une raison pour que le père et le fils se séparassent. Entre, mon garçon ; Dorothée nous servira un morceau, et nous viderons un pot avant que tu nous quittes. Entre, te dis-je, ma fille Kate sera charmée de te voir.
Pendant ce temps, il faisait entrer celui à qui il parlait avec tant de cordialité dans une cuisine qui, à moins d’occasions extraordinaires, servait aussi de salle à manger. Elle avait pour ornemens des assiettes d’étain mêlées de quelques coupes d’argent, rangées très proprement sur des tablettes comme celles d’un buffet, vulgairement appelé en Écosse le bink. Un bon feu, aidé par une lampe qui répandait une vive clarté dans l’appartement, lui donnait un air de gaieté, et la saveur des apprêts du souper, dont Dorothée faisait les préparatifs, n’offensait pas l’odorat de ceux dont il allait satisfaire l’appétit.
L’étranger qui venait d’entrer se laissait voir au milieu d’eux, et quoiqu’il n’eût ni beauté, ni air de dignité, sa stature et son visage non-seulement méritaient l’attention, mais semblaient même la commander. Il était un peu au-dessous de la moyenne taille, mais la largeur de ses épaules, la longueur de ses bras nerveux, les muscles fortement dessinés de tous ses membres, annonçaient un degré de force très peu ordinaire et un corps dont la vigueur était entretenue par un exercice constant. Ses jambes étaient un peu courbées, mais d’une manière qui n’avait rien de difforme, et qui semblait même d’accord avec la force de ses membres, quoiqu’elle nuisît jusqu’à un certain point à leur symétrie. Il portait un pourpoint de buffle, et une ceinture à laquelle étaient attachés une large épée ou claymore et un poignard comme pour défendre la bourse qui, suivant l’usage des bourgeois, y était aussi suspendue. Ses cheveux noirs et frisés étaient coupés près de sa tête, qui était ronde et bien proportionnée. On remarquait dans ses yeux noirs de l’audace et de la résolution, mais ses traits semblaient d’ailleurs exprimer une timidité mêlée de bonne humeur, et annonçaient évidemment sa satisfaction de se retrouver avec ses anciens amis. Abstraction faite de l’expression de timidité qui était celle du moment, le front de Henry Gow ou Smith, – car on lui donnait indifféremment l’un ou l’autre de ces noms, dont chacun exprimait également sa profession, celle de forgeron, – était découvert et plein de noblesse ; mais la partie inférieure de son visage était moins heureusement formée. Sa bouche était grande et garnie de belles dents, dont l’émail et la distribution répondaient à l’air de force et de santé qu’indiquait tout son extérieur. Une barbe courte et épaisse, et des moustaches qui avaient été
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