La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
s’apercevant que son conducteur commençait à s’impatienter, elle dit d’une voix faible : – Noble sire…
– Sire est bon pour un chevalier, dit le brusque bourgeois, et noble convient à un baron. Je suis Henry Gow, un honnête artisan, et membre de la corporation libre des armuriers.
– Bon artisan, alors, dit la jeune chanteuse, vous me jugez sévèrement, mais non sans cause apparente. Je vous délivrerais à l’instant de ma société qui, je le crois bien, ne fait point honneur à un homme sage, si je savais seulement quelle route suivre.
– Il faut suivre celle qui vous conduira à une fête ou à une foire, cela est certain, dit Henry avec rudesse, ne doutant point que cette tristesse ne fût affectée pour captiver son intérêt, et peut-être craignant aussi de se laisser aller à la tentation. C’est la fête de saint Madox, à Auchterarder. Je gage que vous trouverez bien le chemin jusque là.
– Aftr – Auchter –, répéta la chanteuse du midi, dont les lèvres essayaient en vain la prononciation celtique. On m’a dit que mon langage ne serait point compris si j’allais plus près de vos effrayantes montagnes.
– Voulez-vous rester à Perth ?
– Mais où loger ? dit la fille errante.
– Eh mais ! où avez-vous couché cette nuit ? Vous savez d’où vous venez, je suppose, quoique vous sembliez ne pas savoir où vous allez ?
– J’ai couché dans l’hospice du couvent ; mais je n’y ai été admise qu’à force de prières, et on m’a défendu de revenir.
– Certainement ils vous y recevraient moins encore aujourd’hui avec le glaive des Douglas sur votre tête ; cela n’est que trop vrai. Mais le prince a parlé de sir John Ramorny ; je puis vous conduire chez lui à travers les rues, quoique ce soit un rôle indigne d’un honnête bourgeois, et que je sois pressé.
– J’irai n’importe où : je sais que je suis un sujet de scandale et d’embarras. Il fut un temps où il en était autrement… Mais ce Ramorny, qui est-il ?
– Un galant chevalier qui mène une joyeuse vie de garçon, l’écuyer et le privado du jeune prince, comme on dit.
– Quoi ! de cet étourdi et dédaigneux jeune homme qui a donné occasion à tant de scandale dans le monastère ? Brave homme, ne me conduisez pas chez lui. N’y a-t-il pas quelque femme chrétienne qui puisse donner asile à une pauvre créature dans une étable ou dans une grange, pour une nuit seulement ? Je partirai avant l’aurore ; je la paierai richement. J’ai de l’or, et je vous récompenserai aussi si vous voulez me conduire dans un lieu où je n’aurai rien à craindre de ce jeune débauché et des gens de ce sombre baron qui portait la mort dans ses yeux.
– Gardez votre or pour ceux qui en ont besoin, mistress, dit Henry, et n’offrez point à des mains honnêtes un argent qui a été gagné en jouant de la viole ou du tambourin, en dansant, ou peut-être en faisant un métier pire encore. Je vous dis simplement, mistress, que je ne suis point assez sot pour ajouter foi à vos discours. Je suis tout prêt à vous conduire dans le lieu que vous m’indiquerez, car ma parole est aussi solide qu’une boucle de fer. Mais vous ne me persuaderez pas que vous ne savez où aller. Vous n’êtes pas assez novice dans votre métier pour ignorer quelles sont dans chaque ville, et à plus forte raison dans une ville comme Perth, les hôtelleries où les filles comme vous peuvent être reçues pour leur argent lorsqu’elles n’ont pas trouvé quelque dupe pour payer leur écot. Si vous avez de l’argent, mistress, mes inquiétudes à votre égard en sont moins grandes. Et réellement je ne vois qu’un prétexte dans cet excessif chagrin et dans cette crainte d’être laissée seule en exerçant vos talens.
Ayant ainsi signifié à Louise qu’il ne pouvait être trompé par l’adresse ordinaire aux femmes de son espèce, Henry marcha seul pendant quelques pas, essayant de se persuader qu’il avait pris le parti le plus sage et le plus prudent. Cependant il ne put s’empêcher de regarder derrière lui pour examiner ce que devenait Louise ; il fut surpris de voir qu’elle était tombée sur un banc les bras appuyés sur ses genoux et la tête cachée dans ses mains, dans une attitude enfin qui exprimait la plus grande désolation.
L’armurier tâcha d’endurcir son cœur à un pareil spectacle. – C’est un rôle qu’elle joue, se dit-il ; la fille connaît son
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