La Jolie Fille de Perth (Le Jour de Saint-Valentin)
se placer devant Henry, se tint debout sur ses pattes de derrière, secouant celles de devant et se plaignant doucement comme s’il désirait être porté.
– Eh bien ! faut-il aussi que je me charge de toi ? dit l’armurier qui voyait que la pauvre petite bête était fatiguée.
– Fi ! Charlot, dit Louise, tu sais bien que je te porterai moi-même.
Elle essaya de prendre l’épagneul, mais il se sauva de ses mains, et passant de l’autre côté de Henry il renouvela ses supplications.
– Charlot a raison, dit l’armurier ; il devine quel est le plus fort de nous deux. Ceci m’apprend, ma jolie fille, que vous n’avez pas toujours été seule pour porter vos effets ; Charlot est un indiscret.
Une pâleur mortelle couvrit les joues de la chanteuse tandis que Henry parlait ; il fut obligé de la soutenir, car elle serait tombée par terre. Peu à peu elle revint à elle, et d’une voix faible elle exprima le désir de continuer à marcher.
– Tenez mon manteau, lui dit Henry, ou plutôt prenez mon bras, il vous soutiendra mieux encore. Nous devons avoir bonne mine, pensa l’armurier ; et si j’avais seulement un mauvais violon ou une guitare sur le dos, nous ressemblerions au plus joyeux couple de vagabonds qui ait jamais pincé la corde à la grille d’un château. – Par les clous ! si quelque voisin me rencontrait avec ce paquet de guenilles sur le dos, un chien sous mon bras et une fille de cette espèce pendue à mon manteau, que penserait-il, sinon que je suis devenu comédien à mon tour ? Je ne voudrais pas, pour la meilleure armure sur laquelle j’aie jamais levé le marteau, être rencontré par quelques-uns des bavards de notre ville ; ils en feraient une plaisanterie qui durerait depuis la Saint-Valentin jusqu’à la Chandeleur.
Tourmenté par ces pensées, Henry, au risque d’allonger sa route, prit un chemin détourné afin d’éviter les principales rues toujours remplies de monde à l’occasion de la scène qui avait eu lieu. Mais malheureusement sa prudence ne lui servit à rien, car au détour d’une allée il rencontra un homme enveloppé dans son manteau et qui semblait aussi désirer de n’être point reconnu. Sa maigre tournure, ses jambes de fuseau qui se montraient sous le manteau, et les petits yeux noirs qui clignotaient en-dessus de la partie supérieure de ce vêtement annonçaient l’apothicaire aussi distinctement que s’il avait porté son nom écrit sur son bonnet. Cette rencontre imprévue et désagréable remplit l’armurier de confusion. La fuite ne convenait pas à soit caractère hardi et entreprenant. Il connaissait cet homme pour être aussi médisant que curieux, et surtout pour être fort mal disposé à son égard, ne restait donc qu’un moyen de sortir d’embarras, et Henry espéra que le digne apothicaire lui donnerait quelque prétexte pour lui tordre le cou et assurer ainsi son silence et sa discrétion.
Mais loin de dire ou de faire aucune chose qui pût justifier une pareille conduite, l’apothicaire se voyant serré de si près par son robuste compatriote, et pensant que la reconnaissance était inévitable, résolut de la rendre aussi courte que possible. Sans paraître faire une grande attention à la compagne de Smith, il laissa échapper ces mots en passant et sans ajouter un regard après le premier, instant de leur rencontre : – Un joyeux jour de fête pour vous, brave Smith ; eh quoi ! tu amènes avec toi ta cousine, la jolie mistress John Litham ! tu portes sa malle. Elle arrive tout fraîchement de Dundee, je gage ? Je savais qu’elle était attendue chez le vieux cordonnier.
En parlant ainsi, il ne regarda ni à droite ni à gauche, ajouta un salut en disant : – Dieu vous bénisse ! et disparut comme une ombre.
L’armurier murmura les mêmes mots en réponse, plutôt qu’il ne les prononça, et se dit en lui-même : – Que le démon m’étrangle si je puis avaler cette pilule, quelque bien dorée qu’elle soit. Le fripon a de bons yeux quand il s’agit de femmes, et sait distinguer un canard sauvage de celui qui est apprivoisé, aussi bien qu’aucun homme de Perth. Il serait le dernier dans la belle ville à prendre des prunes aigres pour des poires, ou ma grosse cousine John pour la pièce curieuse que je traîne après moi. C’est comme s’il m’avait dit : – Je ne veux pas voir ce que vous désirez me cacher ; et il a raison de se conduire ainsi, car sa tête courrait de grands
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