La lance de Saint Georges
Une
faible lumière emplissait la fenêtre au-dessus de l’autel blanc. Le père Ralph
avait promis au village que cette fenêtre, un jour, resplendirait de couleurs
et montrerait saint Georges transperçant le dragon avec la lance à la pointe
d’argent, mais l’encadrement de pierre ne portait encore que des panneaux en
corne qui laissaient filtrer dans l’église un jour jaune comme de l’urine.
Thomas se leva et c’est alors que des cris horribles retentirent dans le
village.
C’était le jour de Pâques, le Christ était ressuscité, et
les Français avaient débarqué.
Les envahisseurs étaient arrivés de nuit depuis la Normandie
sur quatre navires poussés par le vent d’ouest. Leur chef, messire Guillaume,
seigneur d’Evecque, était un guerrier chevronné qui avait combattu les Anglais
en Gascogne et en Flandre, et à deux reprises déjà il avait conduit des
expéditions sur la côte sud de l’Angleterre. Les deux fois, il avait ramené ses
bateaux à bon port chargés de laine, d’argent, de bétail et de femmes. Il
habitait une jolie maison en pierre de taille sur l’île Saint-Jean, à Caen,
ville où il était connu comme « le chevalier de la mer et de la
terre ». Âgé de trente ans, large de poitrine, le visage hâlé et les
cheveux clairs, c’était un homme chaleureux et direct qui gagnait sa vie par la
piraterie et en servant comme chevalier. Et voici qu’il avait débarqué à
Hookton.
Le lieu était insignifiant ; on ne pouvait guère
espérer en tirer grand-chose. Mais messire Guillaume avait été pressenti pour
cette tâche et même s’il ne s’emparait que d’une seule pièce de monnaie dans la
bourse d’un villageois l’affaire serait tout de même profitable car on lui
avait promis mille livres pour cette expédition. Le contrat était dûment signé
et scellé. Il promettait à Guillaume les mille livres en plus du butin qu’il
pourrait prendre à Hookton. Cent livres lui avaient déjà été versées. Le reste
de la somme avait été confié à frère Martin, de l’abbaye aux Hommes, à Caen. Tout
ce que Guillaume devait faire pour mériter ces neuf cents livres, c’était
amener ses bateaux à Hookton et s’emparer de ce qu’il voulait, mais laisser le
contenu de l’église à l’homme qui lui avait proposé ce généreux contrat. Ce
personnage se trouvait au côté de Guillaume dans le navire de tête.
C’était un homme jeune – il n’avait pas trente
ans –, grand et brun, qui parlait peu et souriait moins encore. Il portait
une coûteuse cotte de mailles, qui lui descendait jusqu’aux genoux, recouverte
d’un surcot de drap noir dépourvu de toutes armoiries. Cependant, messire
Guillaume pensait que l’homme devait être de naissance noble car il avait
l’arrogance et la confiance en lui que donnent les privilèges. Ce n’était
certainement pas un noble normand. Guillaume les connaissait tous, et il avait
assez souvent combattu aux côtés des gens d’Alençon et du Maine pour douter que
l’inconnu soit issu de cette région. La complexion de l’étranger suggérait
plutôt qu’il venait d’une province méditerranéenne, du Languedoc peut-être, ou
du Dauphiné. Ils étaient tous fous, là-bas, fous furieux.
Messire Guillaume ne connaissait même pas son nom. Quand il
le lui avait demandé, l’étranger avait répondu :
— Certains m’appellent Harlequin.
— Harlequin ?
Messire Guillaume avait répété le nom puis avait fait le
signe de croix. Il n’y avait pas lieu de se vanter d’un nom pareil. Il avait
ajouté :
— Vous voulez dire comme le hellequin ?
— On dit hellequin en France, avait admis l’homme, mais
harlequin en Italie. Cela revient au même.
L’étranger avait souri, d’un sourire qui suggérait à messire
Guillaume qu’il ferait mieux de modérer sa curiosité s’il souhaitait recevoir
les neuf cents livres.
À présent, celui qui se faisait appeler Harlequin observait
la côte brumeuse où l’on distinguait le court clocher d’une église, une masse
de toits indistincts et une traînée de fumée qui s’élevait au-dessus des
salines.
— C’est Hookton ? demanda-t-il.
— C’est ce qu’il dit, répondit Guillaume en désignant
de la tête le capitaine.
— Alors que Dieu en ait pitié, dit l’inconnu.
Et il dégaina son épée, bien que les quatre navires fussent
encore à un demi-mille de la côte. Les arbalétriers génois engagés pour
l’expédition se
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