La lanterne des morts
chaque ligne, lesquels, une fois chauffés, firent apparaître un tout autre texte calligraphié à l’encre sympathique.
Le troisième, enfin, paraissait incompréhensible. Mahé, devinant la nature de la missive, ouvrit un des havresacs et, sans un mot, tendit un dictionnaire de grec à son ami.
Celui-ci, ôtant son tricorne, saisit la plume et l’encre et, debout, travailla sur l’étrange document posé à plat sur le maître-autel.
Tandis que le feu prenait sur les dalles du sol de l’église, O'Shea, s’approchant, souffla à Mahé:
– Eh bien, que fait-il donc, la plume à la main, avec un si grand sérieux?
Mahé répondit en chuchotant:
– Il s’agit d’un code chiffré. Si tu préfères, l’intelligence du texte dépend d’un dictionnaire de grec ancien paginé à l’envers mais faisant couple avec un alphabet transposé.
– La France est un pays savant et ingénieux!… constata l’Américain, admiratif mais non point jaloux.
Mahé soupira:
– C'est un pays en guerre contre toutes les autres nations, ou presque, mais aussi avec lui-même. Au surplus, c’est un pays malheureux: on y mange mal, on y meurt beaucoup. Ne sois point surpris, John, si je te demande un jour d’oublier tout cela dont la nation n’est point fière, la barbarie se partageant entre chaque camp, le calice de la haine passant d’un ennemi à l’autre.
Valencey d’Adana, très occupé, n’écoutait pas cette conversation tant ce qu’il décodait l’intéressait.
Il s’agissait de copies. La première était celle d’une lettre de Blacfort interceptée par les services de Gréville et destinée à la ci-devant marquise Victoire de La Chesnaie de Flers. Le messager, un chouan, ne risquait pas d’en faire état: capturé, il fut en moins de deux heures jugé et guillotiné à Surgères.
Le texte était le suivant:
Madame,
On me dit, et cela ne me surprend guère, que vous avez rallié d’enthousiasme la cause de la Révolution. Voilà qui ajoute à l’animadversion que j’éprouve envers vous en même temps que s’aiguillonne en moi le désir de vous posséder.
J’aurais dû vous violer lorsque l’occasion m’en fut donnée mais les troubles s’étendant désormais à notre région, vers laquelle je reviens à la tête d’une armée, la chose n’est que différée. J’aime l’idée de vous déflorer, car je vous crois vierge, puis de vous offrir à mes laquais avant de vous faire brûler vive car il n’est au monde odeur qui me séduit davantage que celle de la chair de femme grillée.
Vous n’échapperez pas à ceux qui sont à vos trousses. Vous serez donc bientôt mienne, jolie marquise.
C'est ce dont je vous donne l’assurance étant pour toujours,
Madame,
Votre très attentif ennemi.
Nicolas.
Sans un mot, Valencey d’Adana lut la seconde copie, celle d’une lettre vieille de treize ans, trouvée par les services du général de police Gréville dans les archives royales. Pour l’infamie, elle égalait la précédente et l’officier de marine songea que décidément, certaines fortunes ne valent point la bassesse qu’on déploie pour les conquérir.
Sire,
Je vous confirme par la présente que Joachim de Niel, comte de Valencey et prince d’Adana, ne fait pas mystère de ses opinions séditieuses vous ayant en ma présence traité de «tyran», «homicidaire», «despote» et «assassin». Le fait qu’il combatte sur les mers pour la gloire de vos armes – mais surtout pour ses amis américains – ne change rien à cela. Je suis prêt, Sire, à répéter ces choses, et bien d’autres encore, quand il vous plaira de les entendre.
J’ai la joie et l’honneur d’être,
Sire,
de Votre Majesté,
Le très humble et obéissant serviteur.
Nicolas de Refroicourt, comte de Blacfort.
Mahé s’approcha:
– Mauvaises nouvelles?
– Oui et non. Les bandes de Vendéens sont encore très puissantes, très mobiles, difficiles à saisir. Gréville conseille la prudence, estimant qu’il faudra des années pour apaiser l’Ouest. En outre…
– En outre?
– Gréville a joint ceci.
Il tendit les copies à Mahé qui les lut, de plus en plus effaré.
– Nicolas est décidément abject, ignoble et répugnant.
– En tout cas, il ignore qu’une de ses bandes a enlevé Victoire. Si nous pouvions les intercepter avant lui…
Il demeura rêveur. Certes, dès le premier appel de Gréville pour venir reconnaître l’adversaire et l’affronter par la suite selon les
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