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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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venait d’entrer dans une plaine ; un grand vent chassait
par tourbillons les flocons sur son visage. Il voyait devant lui
s’étendre la plaine toute blanche et les neigeux tourbillons
chassés par les rafales. Trois loups le suivirent, mais en ayant
abattu un de son arquebuse, les autres se jetèrent sur le blessé et
s’en furent dans le bois, emportant chacun un morceau de
cadavre.
    Ulenspiegel ainsi délivré et regardant s’il n’y avait point
d’autre bande dans la campagne, vit au bout de la plaine des points
comme de grises statues se mouvant parmi les tourbillons, et
derrière des formes noires de soudards cavaliers. Il monta sur un
arbre. Le vent lui apporta un bruit lointain de plaintes. « Ce
sont peut-être, se dit-il, des pèlerins vêtus d’habits
blancs ; je vois à peine leurs corps sur la neige. » Puis
il distingua des hommes courant nus et vit deux
reiters
,
noirs harnais, qui, montés sur leurs destriers, poussaient devant
eux, à grands coups de fouet, ce pauvre troupeau. Il arma son
arquebuse. Il vit parmi ces affligés des jeunes gens, des
vieillards nus, grelottants, transis, recroquevillés, et courant
pour fuir le fouet des deux soudards, qui prenaient plaisir, étant
bien vêtus, rouges de brandevin et de bonne nourriture, à cingler
le corps des hommes nus pour les faire courir plus vite.
    Ulenspiegel dit : « Vous aurez vengeance, cendres de
Claes. » Et il tua d’une balle au visage l’un des
reiters
, qui tomba de son cheval. L’autre ne sachant d’où
venait cette balle imprévue, prit peur. Croyant qu’il y avait dans
le bois des ennemis cachés, il voulut s’enfuir avec le cheval de
son compagnon. Tandis que s’étant emparé de la bride, il descendait
pour dépouiller le mort, il fut frappé d’une autre balle dans le
cou et tomba pareillement.
    Les hommes nus, croyant qu’un ange du ciel, bon arquebusier
venait à leur défense, churent à genoux. Ulenspiegel alors
descendit de son arbre et fut reconnu par ceux de la troupe qui
avaient comme lui, servi dans les armées du prince. Ils lui
dirent :
    – Ulenspiegel, nous sommes du pays de France, envoyés en ce
piteux état, à Maestricht, où est le duc, pour y être traités comme
prisonniers rebelles, ne pouvant payer rançon et d’avance condamnés
à être torturés, détranchés, ou à ramer comme bélîtres et larrons
sur les galères du roi.
    Ulenspiegel, donnant son
opperst-kleed
au plus vieux de
la troupe, répondit :
    – Venez, je vous mènerai jusqu’à Mézières, mais il faut
premièrement dépouiller ces deux soudards et emmener leurs
chevaux.
    Les pourpoints, hauts-de-chausses, bottes et couvre-chefs et
cuirasses des soudards furent partagés entre les plus faibles et
malades, et Ulenspiegel dit :
    – Nous allons entrer dans le bois, où l’air est plus épais et
plus doux. Courons, frères.
    Soudain un homme tomba et dit :
    – J’ai faim et froid, et vais aller devant Dieu témoigner que le
Pape est l’antéchrist sur la terre.
    Et il mourut. Et les autres voulurent l’emporter, afin de
l’enterrer chrétiennement.
    Tandis qu’ils cheminaient sur une grand’route, ils aperçurent un
paysan conduisant un chariot couvert de sa toile. Voyant les hommes
nus, il eut pitié et les fit entrer dans le chariot. Ils y
trouvèrent du foin pour s’y coucher et des sacs vides pour se
couvrir. Ayant chaud, ils remercièrent Dieu. Ulenspiegel,
chevauchant à côté du chariot sur l’un des chevaux des
reiters
, tenait l’autre en bride.
    À Mézières, ils descendirent ; on leur y bailla de bonne
soupe, de la bière, du pain, du fromage, et de la viande aux
vieillards et aux femmes. Ils furent hébergés, vêtus et armés
derechef aux frais de la commune. Et tous ils donnèrent l’accolade
de bénédiction à Ulenspiegel, qui se laissa faire joyeusement.
    Celui-ci vendit les chevaux des deux
reiters
quarante-huit florins, dont il en donna trente aux Français.
    Cheminant solitaire, il se disait : « Je vais par
ruines, sang et larmes, sans rien trouver. Les diables m’ont menti
sans doute. Où est Lamme ? où est Nele ? où sont les
Sept ? »
    Et les cendres de Claes battirent derechef sur sa poitrine.
    Et il entendit une voix comme un souffle, disant :
    « En mort, ruines et larmes, cherche. »
    Et il s’en fut.

XVII
     
    Ulenspiegel arriva à Namur en mars. Il y vit Lamme, qui, s’étant
épris d’un grand amour pour le poisson de Meuse, et notamment pour
les truites,

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