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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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le nez en l’air joyeusement, disait :
    – Sentez-vous le bon vent qui vient de Flandres ?
    Aussi les diligentes abeilles suçaient le miel des fleure,
faisaient la cire, pondaient leurs œufs dans les ruches
insuffisantes à loger leurs essaims. Quelle musique ouvrière sous
le ciel bleu qui couvrait éclatant la riche terre !
    On fit des ruches de jonc, de paille, d’osier, de foin tressé.
Les vanniers cuveliers, tonneliers, y ébréchaient leurs outils.
Quant aux huchiers, depuis longtemps ils ne pouvaient suffire à la
besogne.
    Les essaims étaient de trente mille abeilles et de deux mille
sept cents bourdons. Les gâteaux furent si exquis que, pour leur
rare qualité, le doyen de Damme en envoya onze à l’empereur
Charles, pour le remercier d’avoir, par ses nouveaux édits, remis
en vigueur la Sainte Inquisition. Ce fut Philippe qui les mangea,
mais ils ne lui profitèrent point.
    Les bélîtres, mendiants, vagabonds et toute cette guenaille de
vauriens oiseux traînant leur paresse par les chemins et préférant
se faire pendre plutôt que de faire œuvre, vinrent, au goût du miel
alléchés, pour en avoir leur part. Et ils rôdaient en foule, la
nuit.
    Claes avait fait des ruches pour y attirer les essaims ;
quelques-unes étaient pleines et d’autres vides, attendant les
abeilles. Claes veillait toute la nuit pour garder ce doux bien.
Quand il était las, il disait à Ulenspiegel de le remplacer.
Celui-ci le faisait volontiers.
    Or, une nuit, Ulenspiegel, pour fuir la fraîcheur, s’était
réfugié dans une ruche et, tout recroquevillé, regardait à travers
les ouvertures. Il y en avait deux en haut.
    Comme il s’allait endormir, il entendit craquer les arbustes de
la haie et entendit la voix de deux hommes qu’il prit pour des
larrons. Il regarda par l’une des ouvertures de la ruche et vit
qu’ils avaient tous deux une longue chevelure et une barbe longue,
quoique la barbe fût signe de noblesse.
    Ils allèrent de ruche en ruche, puis ils vinrent à la sienne,
et, la soulevant, ils dirent :
    – Prenons celle-ci : c’est la plus lourde.
    Puis se servant de leurs bâtons, ils l’emportèrent.
    Ulenspiegel n’avait nul plaisir d’être ainsi voituré en ruche.
La nuit était claire et les larrons marchaient sans sonner un mot.
À chaque cinquante pas ils s’arrêtaient, épuisés de souffle, pour
se remettre ensuite en route. Celui de devant grommelait
furieusement d’avoir un si lourd poids à transporter, et celui de
derrière geignait mélancoliquement. Car il est en ce monde deux
sortes de couards fainéants, ceux qui se fâchent contre le labeur,
et ceux qui geignent quand il faut ouvrer.
    Ulenspiegel, n’ayant que faire, tirait par les cheveux le larron
qui marchait devant, et par la barbe celui qui cheminait derrière,
si bien que, lassé du jeu, le furieux dit au pleurard :
    – Cesse de me tirer par les cheveux ou je te baille un tel coup
de poing sur la tête qu’elle te rentrera dans la poitrine et que tu
regarderas à travers tes côtes comme un voleur à travers les
grilles de sa prison.
    – Je ne l’oserais, mon ami, disait le pleurard ; c’est toi
plutôt qui me tires par la barbe.
    Le furieux répondit :
    – Je ne chasse point à la vermine dans le poil des ladres.
    – Monsieur, dit le pleurard, ne faites pas sauter la ruche si
fort ; mes pauvres bras n’y tiennent plus. – Je vais les
détacher tout à fait, répondit le furieux.
    Puis se débarrassant de son cuir, il déposa la ruche à terre, et
sauta sur son compagnon. Et ils s’entre-battirent, l’un
blasphémant, l’autre criant miséricorde.
    Ulenspiegel, entendant les coups pleuvoir, sortit de la ruche,
la traîna avec lui jusqu’au prochain bois pour l’y retrouver, et
retourna chez Claes.
    Et c’est ainsi que dans les querelles les sournois ont leur
profit.

XX
     
    À quinze ans, Ulenspiegel éleva à Damme, sur quatre pieux une
petite tente, et il cria que chacun y pourrait voir désormais
représenté, dans un beau cadre de foin, son être présent et
futur.
    Quand survenait un homme de loi bien morguant et enflé de son
importance, Ulenspiegel passait la tête hors du cadre, et
contre-faisant le museau de quelque singe antique,
disait :
    – Vieux mufle peut pourrir, mais fleurir, non ; ne suis-je
point bien votre miroir, monsieur de la trogne doctorale ?
    S’il avait pour chaland un robuste soudard, Ulenspiegel se
cachait et montrait, au lieu de son visage, au milieu du cadre,

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