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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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d’âge, pût s’y asseoir en ayant l’air de se tenir
debout.
    Ce fut Ulenspiegel qui tailla le premier manche de couteau dont
se servent ceux de Zélande. Il fit ce manche en forme de cage. À
l’intérieur se trouvait une mobile tête de mort ; au-dessus,
un chien couché. Ces emblèmes signifient à eux deux :
« Lame fidèle jusqu’à la mort. »
    Et ainsi Ulenspiegel commençait de vérifier la prédiction de
Katheline, se montrant peintre sculpteur, manant, noble homme le
tout ensemble, car de père en fils les Claes portaient trois pintes
d’argent au naturel sur fond de
Bruinbier
.
    Mais Ulenspiegel ne fut stable en aucun métier, et Claes lui dit
que si ce jeu durait, il le chasserait de la chaumine.

XXII
     
    L’empereur, étant revenu de guerre, demanda pourquoi son fils
Philippe ne l’était point venu saluer.
    L’archevêque-gouverneur de l’infant répondit qu’il ne l’avait
pas voulu, car il n’aimait, disait-il, que livres et solitude.
    L’empereur s’enquit où il se tenait en ce moment.
    Le gouverneur répondit qu’il le fallait chercher partout où il
faisait noir. Ils le firent.
    Ayant traversé un bon nombre de salles, ils vinrent finalement à
une espèce de réduit, sans pavement, et éclairé par une lucarne.
Là, ils virent enfoncé dans le sol un poteau auquel était attachée
par la taille une guenon toute petite et mignonne, envoyée des
Indes à Son Altesse pour la réjouir par ses jeunes ébattements. Au
bas du poteau fumaient des fagots rouges encore, et il y avait dans
le réduit une mauvaise odeur de poil brûlé.
    La bestiole avait tant souffert en mourant dans ce feu que son
petit corps semblait être, non pas celui d’un animal ayant eu vie,
mais un fragment de racine rugueuse et tordue, et dans sa bouche
ouverte comme pour crier la mort, se voyait de l’écume sanglante,
et l’eau de ses larmes mouillait sa face.
    – Qui a fait ceci ? demanda l’empereur.
    Le gouverneur n’osa répondre, et tous deux demeurèrent sans
parler, tristes et colères.
    Soudain, en ce silence, fut entendu un faible bruit de toux qui
venait d’un coin à l’ombre derrière eux. Sa Majesté, se retournant,
y aperçut l’infant Philippe, tout de noir vêtu et suçant un
citron.
    – Don Philippe, dit-il, viens me saluer.
    L’infant, sans bouger, le regarda de ses yeux craintifs où il
n’y avait point d’amour.
    – Est-ce toi, demanda l’empereur, qui as brûlé à ce feu cette
bestiole ?
    L’infant baissa la tête.
    Mais l’empereur :
    – Si tu fus assez cruel pour le faire, sois assez vaillant pour
l’avouer.
    L’infant ne répondit point. Sa Majesté lui arracha des mains le
citron, qu’il jeta à terre, et allait battre son fils pissant de
peur, quand l’archevêque l’arrêtant lui dit à l’oreille :
    – Son Altesse sera un jour grande brûleuse d’hérétiques.
    L’empereur sourit, et tous deux sortirent, laissant l’infant
seul avec sa guenon.
    Mais il en était d’autres qui n’étaient point des guenons et
mouraient dans les flammes.

XXIII
     
    Novembre était venu, le mois grelard où les tousseux se donnent
à cœur-joie de la musique de phlegmes. C’est aussi en ce mois que
les garçonnets s’abattent par troupes sur les champs de navets, y
maraudant ce qu’ils peuvent, à la grande colère des paysans, qui
courent vainement derrière eux avec des bâtons et des fourches.
    Or, un soir qu’Ulenspiegel revenait de maraude, il entendit près
de lui, dans un coin de la haie, un gémissement. Se baissant, il
vit sur quelques pierres un chien gisant.
    – Ça, dit-il, plaintive biestelette, que fais-tu là si
tard ?
    Caressant le chien, il lui sentit le dos humide, pensa qu’on
l’avait voulu noyer et, pour le réchauffer, le prit dans ses
bras.
    Rentrant chez lui il dit :
    – J’amène un blessé, qu’en faut-il faire ?
    – Le panser, répondit Claes.
    Ulenspiegel mit le chien sur la table : Claes, Soetkin et
lui virent alors, à la lumière de la lampe, un petit rousseau du
Luxembourg blessé au dos. Soetkin épongea les plaies, les vêtit de
baume et les enveloppa de linge. Ulenspiegel porta l’animal dans
son lit, quoique Soetkin le voulût avoir dans le sien, redoutant,
disait-elle, qu’Ulenspiegel, qui se remuait alors comme un diable
dans un bénitier, ne blessât le rousseau en dormant.
    Mais Ulenspiegel fit ce qu’il voulait et le soigna si bien qu’au
bout de six jours le blessé marchait comme ses pareils avec

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