La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
amour qu’il nous
faut, amour à notre choix, disaient les belles filles, amour
d’enfant, de jouvenceau et de quiconque nous plaira, sans payer. –
Que ceux en qui la nature met la force virile qui fait les mâles
viennent à nous en ce lieu, pour l’amour de Dieu et de nous. – Hier
était le jour où l’on payait, aujourd’hui est le jour où l’on
aime ! – Qui veut boire à nos lèvres, elles sont humides
encore de la bouteille. Vins et baisers, c’est festin
complet ! – Foin des veuves qui couchent toutes seules !
– Nous sommes des filles ! C’est jour de charité aujourd’hui.
Aux jeunes, aux forts et aux beaux, nous ouvrons nos bras. À
boire ! – Mignonne, est-ce pour la bataille d’amour que ton
cœur bat le tambourin dans ta poitrine ? Quel balancier !
c’est l’horloge des baisers. Quand viendront-ils, cœurs pleins et
escarcelles vides ? Ne flairent-ils point les friandes
aventures ? Quelle différence y a-t-il entre un jeune Gueux et
Monsieur le markgrave ? C’est que Monsieur paye en florins et
le jeune Gueux en caresses. Vive le Gueux ! Qui veut aller
éveiller les cimetières ? »
Ainsi parlaient les bonnes, ardentes et joyeuses d’entre les
filles d’amoureuse vie.
Mais il en était d’autres au visage étroit, aux épaules
décharnées, qui faisaient de leurs corps boutique pour l’économie,
et liard à liard grappinaient le prix de leur viande maigre.
Celles-là maugréaient entre elles : « Il est bien sot, à
nous, de nous passer de salaire en ce métier fatigant, pour ces
lubies saugrenues passant par la cervelle de filles folles
d’hommes. Si elles ont quelque quartier de lune en la tête, nous
n’en avons point, et préférons en nos vieux jours ne point traîner,
comme elles, nos guenilles dans le ruisseau et nous faire payer,
puisque nous sommes à vendre. – Foin du gratis ! Les hommes
sont laids, puants, grognons, gourmands, ivrognes. Eux seuls font
tourner à mal les pauvres femmes ! »
Mais les jeunes-et-belles n’entendaient point ces propos, et
toutes à leur plaisir et buveries, disaient :
« Entendez-vous les cloches des morts sonnant à
Notre-Dame ? Nous sommes de feu ! Qui veut aller
réveiller les cimetières ? »
Lamme voyant tant de femmes à la fois, brunes et blondes,
fraîches et fanées, fut honteux ; baissant les yeux, il
s’écria : Ulenspiegel, où es-tu ?
– Il est très-passé, mon ami, dit une grosse fille en le prenant
par le bras.
– Très-passé ? dit Lamme.
– Oui, dit-elle, il y a trois cents ans en la compagnie de
Jacobus de Coster van Maerlandt.
– Laissez-moi, dit Lamme, et ne me pincez point. Ulenspiegel, où
es-tu ? Viens sauver ton ami ! Je m’en vais incontinent,
si vous ne me laissez.
– Tu ne partiras point, dirent-elles.
– Ulenspiegel, dit encore Lamme piteusement, où es-tu, mon
fils ? Madame, ne me tirez point ainsi par mes cheveux ;
ce n’est point une perruque, je vous l’assure. À l’aide ! Ne
trouvez-vous pas mes oreilles assez rouges, sans que vous y fassiez
encore monter le sang ? Voilà que cette autre me chiquenaude
sans cesse. Vous me faites mal ! Las ! de quoi me
frotte-t-on la figure à présent ? Le miroir ? Je suis
noir comme la gueule d’un four. Je me fâcherai tantôt si vous ne
finissez ; c’est mal à vous de maltraiter ainsi un pauvre
homme. Laissez-moi ! Quand vous m’aurez tiré par mon
haut-de-chausses à droite, à gauche, de partout et m’aurez fait
aller comme une navette, en serez-vous plus grasses ? Oui, je
me fâcherai sans doute.
– Il se fâchera, disaient-elles en se gaussant ; il se
fâchera, le bonhomme. Ris plutôt, et chante-nous un
lied
d’amour.
– J’en chanterai un de coups, si vous le voulez ; mais
laissez-moi.
– Qui aimes-tu ici ?
– Personne, ni toi, ni les autres. Je me plaindrai au magistrat,
et il vous fera fouetter.
– Oui-da ! dirent-elles, fouetter ! Si nous te
baisions de force avant ce fouettement ?
– Moi ? dit Lamme.
– Toi ! dirent-elles toutes.
Et voilà les belles et les laides, les fraîches et les fanées,
les brunes et les blondes de se précipiter sur Lamme, de jeter sa
toque en l’air, en l’air son manteau, et de le caresser, baiser sur
la joue, le nez, l’estomac, le dos, de toute leur force.
La
baesine
riait entre ses chandelles.
– À l’aide ! criait Lamme ; à l’aide !
Ulenspiegel, balaie-moi toute cette guenaille. Laissez-moi !
je ne veux pas de vos
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