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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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embaumée, ton épaule sortant de ta robe
comme une grande feuille de rose blanche. Je ne veux point que
cette belle peau, sous laquelle le sang coule si jeune, souffre
sous le fouet, ni que ces yeux clairs du feu de jeunesse pleurent à
cause de la douleur des coups, ni que le froid de la prison fasse
frissonner ton corps de fée d’amour. Doncques, j’aime mieux te
choisir que de te savoir battue.
    La fillette l’emmena. Ainsi pécha-t-il, comme il fit toute sa
vie, par bonté d’âme.
    Cependant Ulenspiegel et une grande belle fille brune aux
cheveux crépelés se tenaient debout l’un devant l’autre. La fille,
sans mot dire, regardait, coquetant, Ulenspiegel et semblait ne
vouloir point de lui.
    – Aime-moi, disait-il.
    – T’aimer, dit-elle, fol ami qui n’en veut qu’à tes
heures ?
    Ulenspiegel répondit
    – L’oiseau qui passe au-dessus de ta tête chante sa chanson et
s’envole. Ainsi de moi, doux cœur : veux-tu que nous chantions
ensemble ?
    – Oui, dit-elle, chanson de rire et de larmes.
    Et la fille se jeta au cou d’Ulenspiegel.
    Soudain, comme tous deux se pâmaient d’aise au bras de leurs
mignonnes, voilà que pénètrent en la maison, au son d’un fifre et
d’un tambour, et s’entre-bousculant, pressant, chantant, sifflant,
criant, hurlant, vociférant, une joyeuse compagnie de
meesevangers
, qui sont à Anvers les preneurs de mésanges.
Ils portaient des sacs et des cages tout pleins de ces petits
oiseaux, et les hiboux qui les y avaient aidés écarquillaient leurs
yeux dorés à la lumière.
    Les
meesevangers
étaient bien dix, tous rouges, enflés
de vin et de cervoise, portant le chef branlant, traînant leurs
jambes flageolantes et criant d’une voix si rauque et si cassée,
qu’il semblait aux filles peureuses entendre plutôt des fauves en
bois que des hommes en un logis.
    Cependant, comme elles ne cessaient de dire, parlant seules
toutes ensemble : « Je veux qui j’aime. – À qui nous
plaît nous sommes. Demain aux riches de florins ! Aujourd’hui
aux riches d’amour ! » les
meesevangers
répondirent : « Florins nous avons, amour
pareillement ; à nous donc les folles-filles. Qui recule est
chapon. Celles-ci sont mésanges, nous sommes chasseurs. À la
rescousse ! Brabant au bon duc ! »
    Mais les femmes disaient, ricanant : « Fi ! les
laids museau qui nous pensent manger ! Ce n’est point aux
pourceaux que l’on donne les sorbets. Nous prenons qui nous plaît
et ne voulons point de vous. Tonnes d’huile, sacs de lard, maigres
clou, lames rouillées, vous puez la sueur et la boue. Videz de
céans, vous serez bien damnés sans notre aide. »
    Mais eux : « Les Galloises sont friandes aujourd’hui.
Mesdames les dégoûtées, vous pouvez bien nous donner ce que vous
vendez à tout le monde. »
    Mais elles : « Demain, dirent-elles, nous serons
chiennes esclaves et vous prendrons ; aujourd’hui nous sommes
femmes libres et vous rejetons. »
    Eux : « Assez de paroles, crièrent-ils. Qui a
soif ? Cueillons les pommes ! »
    Et ce disant, ils se jetèrent sur elles, sans distinction d’âge
ni de beauté. Les belles filles, résolues en leur dessein, leur
jetèrent à la tête chaises, pintes, cruches, gobelets, hanaps,
flacons, bouteilles, pleuvant dru comme grêle, les blessant,
meurtrissant, éborgnant.
    Ulenspiegel et Lamme vinrent au bruit, laissant au haut de
l’échelle leurs tremblantes amoureuses. Quand Ulenspiegel vit ces
hommes frappant sur ces femmes, il prit en la cour un balai dont il
fit sauter le fagotage, en donna un autre à Lamme, et ils en
frappèrent les
meesevangers
sans pitié.
    Le jeu paraissant dur aux ivrognes ainsi daubés, ils
s’arrêtèrent un instant, ce dont profitèrent incontinent les filles
maigres qui se voulaient vendre et non donner, voire même en ce
grand jour d’amour volontaire, ainsi que le veut Nature. Elles se
glissèrent comme des couleuvres entre les blessés, les
caressèrent ; pansèrent leurs plaies, burent pour eux le vin
d’Amboise et vidèrent si bien leurs escarcelles de florins et
autres monnaies, qu’il ne leur resta pas un traître liard. Puis,
comme le couvre-feu sonnait, elles les mirent à la porte, dont
Ulenspiegel et Lamme avaient déjà pris le chemin.

XXIX
     
    Ulenspiegel et Lamme marchaient sur Gand et vinrent à l’aube à
Lokeren. La terre au loin suait de rosée ; des vapeurs
blanches et fraîches glissaient sur les prairies. Ulenspiegel, en
passant

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