La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
fois par la sainte Trinité, maudite sept fois par les
chandeliers de l’Arche ; que la confession te soit
damnation ; que l’hostie te soit un venin mortel, et qu’à
l’église chaque dalle se lève pour t’écraser et te dire :
« Celle-ci est la fornicatrice, celle-ci est maudite, celle-ci
est damnée ! »
Et Lamme joyeux, sautant d’aise, disait :
– Elle fut fidèle, il l’a dit, le moine : vive
Calleken !
Mais elle, pleurant et tremblant :
– Ôte, dit-elle, mon homme, ôte cette malédiction de dessus moi.
Je vois l’enfer ! Ôtez la malédiction !
– Ôte la malédiction, dit Lamme.
– Je ne l’ôterai point, gros homme, repartit le moine.
Et la femme demeurait toute blême et pâmée, et à genoux, les
mains jointes, suppliait Broer Adriaensen.
Et Lamme dit au moine :
– Ôte ta malédiction, sinon tu seras pendu, et si la corde casse
à cause du poids, tu seras rependu jusqu’à ce que mort
s’ensuive.
– Pendu et rependu, dirent les Gueux.
– Donc, dit le moine parlant à Calleken, va paillarde, va avec
ce gros homme ; va, je lève ma malédiction, mais Dieu et tous
les saints auront l’œil sur toi ; va avec ce gros homme,
va.
Et il se tut, suant et soufflant.
Soudain Lamme s’écria :
– Il gonfle, il gonfle ! Je vois le sixième menton ;
au septième, c’est l’apoplexie ! Et maintenant, dit-il,
s’adressant aux Gueux :
– Je vous recommande à Dieu, toi Ulenspiegel, à Dieu, vous tous
mes bons amis, à Dieu, toi Nele, à Dieu la sainte cause de la
liberté : je ne puis plus rien pour elle.
Puis ayant donné à tous et reçu l’accolade, il dit à sa femme
Calleken :
– Viens, c’est l’heure des légitimes amours.
Tandis que le batelet glissait sur l’eau, emportant Lamme et son
aimée, lui le dernier, matelots, soudards et mousses criaient tous,
agitant leurs couvre-chefs : « Adieu, frère ; adieu,
Lamme ; adieu, frère, frère et ami. »
Et Nele dit à Ulenspiegel en lui prenant du bout du doigt mignon
une larme dans le coin de l’œil :
– Tu es triste, mon aimé ?
– Il était bon, dit-il.
– Ah ! dit-elle, cette guerre ne finira point, force nous
sera donc toujours de vivre dans le sang et les larmes ?
– Cherchons les Sept, dit Ulenspiegel : elle approche,
l’heure de la délivrance.
Suivant le vœu de Lamme, les Gueux engraissèrent le moine en sa
cage. Quand il fut mis en liberté, moyennant rançon, il pesait
trois cent dix-sept livres et cinq onces, poids de Flandre.
Et il mourut prieur de son couvent.
VIII
En ce temps-là, messeigneurs des États-Généraux s’assemblèrent à
La Haye pour juger Philippe, roi d’Espagne, comte de Flandre, de
Hollande, etc., suivant les chartes et privilèges par lui
consentis.
Et le greffier parla ainsi :
– Il est notoire à un chacun qu’un prince de pays est établi par
Dieu souverain et chef de ses sujets pour les défendre et préserver
de toutes injures, oppressions et violences, ainsi qu’un berger est
ordonné pour la défense et la garde de ses brebis. Il est notoire
aussi que les sujets ne sont pas créés par Dieu pour l’usage du
prince, pour lui être obéissants en tout ce qu’il commande, que ce
soit chose pie ou impie, juste ou injuste, ni pour le servir comme
des esclaves. Mais le prince est prince pour ses sujets, sans
lesquels il ne peut être, afin de gouverner selon le droit et la
raison ; pour les maintenir et les aimer comme un père ses
enfants, comme un pasteur ses brebis, risquant sa vie pour les
défendre ; s’il ne le fait, il doit être tenu non pour un
prince, mais pour un tyran. Philippe roi lança sur nous, par appels
de soldats, bulles de croisade et d’excommunication, quatre armées
étrangères. Quelle sera sa punition, en vertu des lois et coutumes
du pays ?
– Qu’il soit déchu, répondirent Messeigneurs des États.
– Philippe a forfait à ses serments : il a oublié les
services que nous lui rendîmes, les victoires que nous l’aidâmes à
remporter. Voyant que nous étions riches, il nous laissa rançonner
et piller par ceux du conseil d’Espagne.
– Qu’il soit déchu comme ingrat et larron, répondirent
Messeigneurs des États.
– Philippe, continua le greffier, mit dans les plus puissantes
villes des pays de nouveaux évêques, les dotant et bénéficiant avec
les biens des plus grosses abbayes ; il introduisit, par
l’aide de ceux-ci, l’Inquisition d’Espagne.
– Qu’il soit
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