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La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak

Titel: La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Charles De Coster
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voir,
s’entremontrant, désignant et reconnaissant, mais ne voyant en
effet que le mur nu, ce qui les faisait penauds.
    Soudain le fou qui était présent sauta de trois pieds en l’air
et agitant ses grelots :
    – Qu’on me traite, dit-il, de vilain vilain vilenant vilenie,
mais je dirai et crierai avec trompettes et fanfares que le vois là
un mur nu, un mur blanc, un mur nu. Ainsi m’aide Dieu et tous ses
saints !
    Ulenspiegel répondit : Quand les fous se mêlent de parler,
il est temps que les sages s’en aillent.
    Il allait sortir du palais quand le landgrave
l’arrêtant :
    – Fou folliant, dit-il, qui t’en vas par le monde louant choses
belles et bonnes et te gaussant de sottise à pleine gueule, toi qui
osas, en face de tant de hautes dames et de plus hauts et gros
seigneurs, te gausser populairement de l’orgueil blasonique et
seigneurial, tu seras pendu un jour pour ton libre parler.
    – Si la corde est d’or, répondit Ulenspiegel, elle cassera de
peur en me voyant venir.
    – Tiens, dit le landgrave en lui donnant quinze florins, en
voici le premier bout.
    – Grand merci, monseigneur, répondit Ulenspiegel, chaque auberge
du chemin en aura un fil, fil tout d’or qui fait des Crésus de tout
ces aubergistes larrons.
    Et il s’en fut sur son âne, portant haut sa toque, la plume au
vent, joyeusement.

LVIII
     
    Les feuilles jaunissaient sur les arbres et le vent d’automne
commençait de souffler. Katheline était parfois raisonnable pendant
une heure ou trois. Et Claes disait alors que l’esprit de Dieu en
sa douce miséricorde venait la visiter. En ces moments, elle avait
pouvoir de jeter, par geste et par langage, un charme sur Nele, qui
voyait à plus de cent lieues les choses qui se passaient sur les
places, dans les rues ou dans les maisons.
    Donc ce jour-là Katheline étant en son bon sens mangeait des
oliekoekjes
bien arrosées de
dobbel-cuyt
, avec
Claes, Soetkin et Nele.
    Claes dit :
    – C’est aujourd’hui le jour de l’abdication de Sa Sainte Majesté
l’empereur Charles-Quint. Nele, ma mignonne, saurais-tu voir
jusqu’à Bruxelles en Brabant ?
    – Je le saurai, si Katheline le veut, répondit Nele.
    Katheline alors fit asseoir la fillette sur un banc, et par ses
paroles et gestes agissant comme charme, Nele s’affaissa tout
ensommeillée.
    Katheline lui dit :
    – Entre dans la petite maison du Parc, qui est le séjour aimé de
l’empereur Charles-Quint.
    – Je suis, dit Nele parlant bassement et comme si elle
étouffait, je suis en une petite salle peinte à l’huile, en vert.
Là se trouve un homme tirant sur les cinquante-quatre ans, chauve
et gris, portant la barbe blonde, sur un menton proéminent, ayant
un mauvais regard en ses yeux gris, pleins de ruse, de cruauté et
de feinte bonhomie. Et cet homme, on l’appelle Sainte Majesté. Il
est catarrheux et tousse beaucoup. Auprès de lui en est un autre,
jeune, au laid museau, comme d’un singe hydrocéphale :
celui-la, je le vis à Anvers, c’est le roi Philippe. Sa Sainte
Majesté lui reproche en ce moment d’avoir découché la nuit, sans
doute, dit-Elle, pour aller trouver en un bouge quelque guenon de
la ville basse. Elle dit que ses cheveux ont une odeur de taverne,
que ce n’est pas là un plaisir de roi n’ayant qu’à choisir corps
mignons, peaux de satin rafraîchies dans des bains de senteurs et
mains de grandes dames bien amoureuses, ce qui vaut mieux,
dit-Elle, qu’une truie folle, sortie à peine lavée des bras d’un
soudard ivrogne. Il n’est point, lui dit-il, de femme pucelle,
mariée ou veuve, qui lui voulût résister, parmi les plus nobles et
belles éclairant leurs amours avec bougies parfumées, et non aux
graisseuses lueurs de puantes chandelles.
    « Le roi répond à Sa Sainte Majesté qu’il lui obéira en
tout.
    « Puis Sa Sainte Majesté tousse et boit quelques gorgées
d’hypocras.
    « – Tu vas, dit-Elle, en s’adressant à Philippe, voir
tantôt les États Généraux, prélats, nobles et bourgeois :
d’Orange le Taiseux, d’Egmont le Vain, de Hornes l’impopulaire,
Brederode le Lion ; et aussi tous ceux de la Toison d’or, dont
je te ferai souverain. Tu verras là cent porteurs de hochets, qui
se couperaient tous le nez s’ils pouvaient le porter à une chaîne
d’or sur la poitrine, en signe de plus haute noblesse. »
    « Puis, changeant de ton et bien dolente, Sa Sainte Majesté
dit au roi Philippe :
    « – Tu sais que je vais abdiquer en

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