La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak
mais il fut
le premier qui eut les yeux secs, parce qu’il le voulait, étant
homme et chef de famille.
Soetkin pleurait et Ulenspiegel disait :
– Je veux briser ces méchants fers.
Soetkin pleurait, disant :
– J’irai au roi Philippe, il fera grâce.
Claes répondit :
– Le roi hérite des biens des martyrs. Puis il ajouta :
– Femme et fils aimés, je m’en vais aller tristement de ce monde
et douloureusement. Si j’ai quelque appréhension de souffrance pour
mon corps, je suis bien marri aussi, songeant que, moi n’étant
plus, vous deviendrez tous deux pauvres et misérables, car le roi
vous prendra votre bien.
Ulenspiegel répondit parlant à voix basse :
– Nele sauva tout hier avec moi.
– J’en suis aise, repartit Claes ; le dénonciateur ne rira
pas sur ma dépouille.
– Qu’il meure plutôt, dit Soetkin, l’œil haineux, sans
pleurer.
Mais Claes, songeant aux carolus, dit :
– Tu fus subtil. Thylken mon mignon ; elle n’aura donc
point faim en son vieil âge, Soetkin ma veuve.
Et Claes l’embrassait, la serrant fort contre sa poitrine, et
elle pleurait davantage, songeant que bientôt elle perdrait sa
douce protection.
Claes regardait Ulenspiegel et disait.
– Fils, tu péchas souvent courant les grands chemins, ainsi que
font les mauvais garçons, il ne faut plus le faire, mon enfant, ni
laisser seule au logis la veuve affligée, car tu lui dois défense
et protection, toi le mâle.
– Père, je le ferai, dit Ulenspiegel.
– Ô mon pauvre homme ! disait Soetkin l’embrassant. Quel
grand crime avons-nous commis ? Nous vivions à deux
paisiblement d’une honnête et petite vie, nous aimant bien,
Seigneur Dieu, tu le sais. Nous nous levions tôt pour travailler,
et le soir, en te rendant grâces, nous mangions le pain de la
journée. Je veux aller au roi et le déchirer de mes ongles.
Seigneur Dieu, nous ne fûmes point coupables !
Le geôlier entra et dit qu’il fallait partir.
Soetkin demanda de rester. Claes sentait son pauvre visage
brûler le sien, et les larmes de Soetkin, tombant à flots, mouiller
ses joues, et tout son pauvre corps frissonnant et tressaillant en
ses bras. Il demanda qu’elle restât près de lui.
Le geôlier dit encore qu’il fallait partir et ôta Soetkin des
bras de Claes.
Claes dit à Ulenspiegel :
– Veille sur elle.
Celui-ci répondit qu’il le ferait. Et Ulenspiegel et Soetkin
s’en furent à deux, le fils soutenant la mère.
LXXIV
Le lendemain, qui était le jour du supplice, les voisins
vinrent, et par pitié enfermèrent ensemble, dans la maison de
Katheline, Ulenspiegel, Soetkin et Nele.
Mais ils n’avaient point pensé qu’ils pouvaient de loin entendre
les cris du patient, et par les fenêtres voir la flamme du
bûcher.
Katheline rôdait par la ville, hochant la tête et
disant :
– Faites un trou, l’âme veut sortir.
À neuf heures, Claes en son linge, les mains liées derrière le
dos, fut mené hors de sa prison. Suivant la sentence, le bûcher
était dressé dans la rue de Notre-Dame, autour d’un poteau planté
devant les bailles de la Maison commune. Le bourreau et ses aides
n’avaient pas encore fini d’empiler le bois.
Claes, au milieu de ses happe-chair, attendait patiemment que
cette besogne fût faite, tandis que le prévôt à cheval, et les
estafiers du bailliage, et les neuf lansquenets appelés de Bruges,
pouvaient à grand’peine tenir en respect le peuple grondant.
Tous disaient que c’était cruauté de meurtrir ainsi en ses vieux
jours injustement un pauvre bonhomme si doux, miséricordieux et
vaillant au labeur.
Soudain ils se mirent à genoux et prièrent. Les cloches de
Notre-Dame sonnaient pour les morts.
Katheline était aussi dans la foule de peuple, au premier rang,
toute folle. Regardant Claes et le bûcher, elle disait hochant la
tête :
– Le feu ! le feu ! Faites un trou : l’âme veut
sortir.
Soetkin et Nele, entendant le son des cloches, se signèrent
toutes deux. Mais Ulenspiegel ne le fit point, disant qu’il ne
voulait point adorer Dieu à la façon des bourreaux. Et il courait
dans la chaumine, cherchant à enfoncer les portes et à sauter par
les fenêtres ; mais toutes étaient gardées.
Soudain Soetkin s’écria, en se cachant le visage dans son
tablier :
– La fumée.
Les trois affligés virent en effet dans le ciel un grand
tourbillon de fumée toute noire. C’était celle du bûcher sur lequel
se trouvait Claes attaché à
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