La Légion Des Damnés
bien-aimé Hauptfeldwebel, nous avions coutume de dire qu'il ne pouvait vomir de la merde sans vomir d'abord de la merde. Ce n'était peut-être pas très fort, mais nous n'étions pas difficiles, sur ce point, et c est une assez bonne description de ce petit-bourgeois sadique, pourri jusqu'aux moelles, à qui l'on avait permis de goûter un peu de l'ivresse du pouvoir.
— Qu'est-ce que c'est que cette saloperie de compagnie ? Vous avez passé votre dimanche à vous rouler dans la merde ? Vautrés dans le fumier, c'est la place qui convient à des pourceaux comme vous ! J'ai regardé cinq hommes ! On dirait cinq maquereaux nés de putains syphilitiques...
Ce netait plus une bouche humaine, c'était une bouche d'égout, un grand déversoir ! Il aimait beaucoup parler de la « maladie française », mais il avait lui-même la maladie prussienne à son degré le plus avancé, cette soif pitoyable d'humilier son prochain. C'est une vraie maladie, et une maladie qui n'est pas confinée aux bataillons disciplinaires. Elle a contaminé toute l'armée allemande, comme une épidémie de furonculose. Et dans chaque furoncle, on peut être sûr de trouver un sous-off, un de ces types qui sont quelque chose tout en n'étant pratiquement rien.
La punition standard, dans ces cas-là, consiste en trois heures d'exercice spécial dont le plat de résistance est un long fossé rempli à mi-hauteur d'une boue écœurante en pleine fermentation, tapissée, en surface, d'une écume visqueuse, jaunâtre. Chaque fois que l'ordre : « A plat ventre » nous expédie au fond de ce fossé, il faut ensuite se frotter et s'arracher à moitié les paupières pour recouvrer l'usage de la vue. Puis arrive l'heure du déjeuner. Tels que nous sommes, nous ingurgitons le rata. Nous avons une demi-heure pour nous présenter, propres comme des sous neufs, à l'appel de l'après-midi.
La méthode est simple et je vous la recommande : il suffit de passer sous la douche, tout équipé, tout habillé. Ensuite, il faut nettoyer le fusil et les autres pièces d'équipement, les sécher soigneusement à l'aide d'un chiffon propre et passer au graissage. Faites attention, tout spécialement, à l'intérieur du canon de votre flingue...
Ces opérations de démontage, de nettoyage et de graissage n'entrent guère qu'une fois par semaine dans l'emploi du temps d'un soldat « normal ». Deux fois, peut-être, en cas d'exercice particulièrement salissant.
Nous les faisions, nous, au moins deux fois par jour.
A l'appel de l'après-midi, bien sûr, nous nous présentions trempés comme des soupes. Mais on avait la bonté, en cette circonstance, de ne pas nous chercher des crosses sur le pressing. La propreté suffisait...
Il n'y avait qu'une chose que nous craignions autant que cette affreuse inspection du lundi, c'était la revue de chambrée, tous les soirs, à vingt-deux heures. Ce que le sous-off de service pouvait trouver à faire aux demi-morts que nous étions, après une journée harassante, touchait fréquemment au sublime...
Avant l'arrivée du sous-off, chaque homme devait s'allonger sur son lit, et naturellement, dans la position réglementaire, c'est-à-dire sur le dos, bras contre les flancs, pieds nus offerts à l'inspection. Il incombait au chef de chambrée de veiller à ce que nulle parcelle de poussière ne subsistât dans les coins les plus reculés de la chambrée, à ce que tous les pieds fussent aussi propres que ceux d'un nouveau-né, à ce que toutes choses fussent rangées et pliées en strict accord avec le règlement.
Au début de chaque inspection, le chef de chambrée était astreint à débiter la formule suivante :
— Herr Unteroffizier, le chef de chambrée Brand, présent au rapport, déclare que tout est en ordre dans la chambre 26, effectif douze hommes, dont onze sur leurs couchettes. La salle a été convenablement aérée et nettoyée et il n'y a rien à inscrire au rapport.
Le sous-off de service ne lui accordait évidemment aucune attention et commençait à fouiner un peu partout. Et malheur à l'infortuné chef de chambrée s'il découvrait le plus infime grain de poussière, ou bien une boîte à paquetage mal fermée, ou l'ombre d'une souillure sous la plante d'un seul pied.
Le sous-off nommé Geerner — je crois sincèrement qu'il eût été mieux à sa place dans une cellule capitonnée — hurlait littéralement comme un chien. On avait l'impression, à l'entendre, qu'il était perpétuellement à deux
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