La Légion Des Damnés
plancher de la chambrée. Comme nous n'avions que deux serpillières déchiquetées pour éponger le désastre, nous en eûmes pour un certain temps.
Il répéta cette plaisanterie quatre fois avant de s'en lasser. Puis il alla se coucher, enfin, calmé, et nous retrouvâmes la paix.
Les Romains anciens appelèrent furor germanicus l'acharnement au combat qu'ils rencontrèrent à l'époque en faisant la guerre aux tribus du nord des Alpes. Peut-être sera-ce une légère consolation pour les Romains et les autres ennemis confirmés de la race germanique d'apprendre que les Germains se traitent entre eux avec la même démence qu'ils traitent leurs voisins ?
Furor germanicus, la maladie prussienne.
Geerner n'était rien de plus qu'un malheureux sous-off, un débris au cerveau désaxé qui devait se contenter de ses rendez-vous quotidiens avec la poussière.
Paix à celle qu'il est probablement redevenue.
Notre entraînement s'acheva en apothéose sur un exercice de sept jours et sept nuits à peu près blanches, qui eut lieu sur un gigantesque champ de manœuvres appelé Sennelager. On y avait bâti des villages entiers avec ponts, carrefours, rails de tramway. Rien ne manquait, sauf les habitants et nous avions là toutes les occasions possibles de démontrer nos talents, à travers marais, rivières et broussailles et sur des passerelles branlantes enjambant négligemment de véritables précipices.
Tout cela rend peut-être un son romantique, style jeux de Peaux-Rouges sur une grande échelle, mais ces jeux coûtèrent la vie d'un de nos bonshommes, qui tomba du haut d'un de ces ponts tremblotants et se cassa le cou.
Un autre jeu également très apprécié consistait à creuser des trous juste assez profonds pour nous recevoir, puis à s'y recroqueviller, malades de trouille, tandis que des chars lourds nous passaient sur le râble.
Une sensation forte en suivait une autre et nous devions ensuite nous jeter à plat ventre sous ces mêmes tanks, le dessous métallique de l'engin nous frôlant les fesses pendant que les chenilles défilaient à grand fracas, sur la droite et sur la gauche.
On voulait nous endurcir à la fréquentation quotidienne des tanks.
Nous vivions dans une frayeur quasi perpétuelle, ce qui est, après tout, bien normal, puisque le soldat allemand a toujours été dressé par la crainte, entraîné à réagir comme une machine sous l'aiguillon de la terreur et non à combattre bravement parce qu'un noble idéal l'enflamme et qu'il se sacrifiera de bon cœur si l'intérêt de son peuple l'exige. Peut-être cette infériorité morale est-elle précisément le trait caractéristique de la mentalité prussienne et l'affection chronique du peuple allemand.
Deux jours plus tard, la compagnie fut démembrée en petits groupes de cinq à quinze hommes qui « touchèrent » de nouveaux équipements. Je reçus, avec quelques autres, l'uniforme et le béret noir des troupes blindées. Le jour suivant, un Feldwebel nous conduisit à la caserne de Bielefeld, où nous fûmes immédiatement incorporés à une compagnie en partance pour le front, et chargés dare-dare dans un train militaire.
« Comme si cette compagnie n'était pas déjà saturée de criminels de votre espèce ! C'est écœurant de voir ça... Mais que je ne vous surprenne pas à commettre la moindre irrégularité, vous m'entendez ? Ou que je sois pendu si je ne vous renvoie pas illico aux bagnes dans lesquels vous auriez dû avoir au moins la décence de crever ! C'est en taule qu'est votre vraie place... »
Ainsi m'apostropha, pour me souhaiter la bienvenue, le commandant de la Compagnie n° 5, le gros capitaine Meier, tourmenteur de recrues, terreur de la bleusaille. Mais j'étais habitué à ces sortes de discours.
Je fus affecté à l'escadron n° 2, sous les ordres du lieutenant Von Barring. Et là, commencèrent des choses auxquelles je n'étais pas habitué...
Notre premiere rencontre
Von Barring me tendit la main, emprisonna la mienne dans une étreinte énergique, une étreinte amicale... Je n'en revenais pas. C'est le genre de chose qu'un officier de l'Armée prussienne ne peut tout simplement pas faire; mais il fit cette chose, et l'ayant faite, il me dit :
— Bienvenue, mon garçon, bienvenue à la compagnie 5. On t'a collé dans une foutue saloperie de régiment, mais ici, tout le monde se serre les coudes et fait de son mieux. Cherche le camion n° 24 et présente-toi au rapport devant l'Unteroffizier
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