La Légion Des Damnés
mais d'honnêtes infractions de droit commun qui l'avait expédié, à trois reprises, dans des camps de concentration. Docker à Hambourg, il avait, à l'instar de ses collègues, grappillé pas mal de petites choses, dans les entrepôts et sur les navires en cours de déchargement. Ces activités leur avaient valu à tous six mois de prison.
Pluton n'était ressorti que depuis quarante-huit heures quand la police vint le rechercher. Il s'agissait, cette fois, de son frère, qui avait falsifié un passeport et qui eut, pour ça, la tête tranchée. Pluton refit neuf mois de prison sans jamais être interrogé. Puis un beau jour, on le rejeta sur le trottoir, après l'avoir copieusement tabassé, mais toujours sans lui fournir la moindre explication.
Trois mois plus tard, on l'arrêta de nouveau. Pour le vol, cette fois, de tout un camion de farine. Pluton ne savait rien de rien au sujet de ce camion, mais il encaissa tout de même une nouvelle dérouillée, fut confronté avec un type qui jura l'avoir eu pour complice dans le « coup de la farine » et s'entendit condamner, au terme d'un jugement de douze minutes, à six ans de travaux forcés. Il en passa deux dans un camp d'internement, puis fut transféré, comme tout le monde, dans un bataillon disciplinaire et finit par échouer, avec nous tous, au 271 e Régiment Disciplinaire. Si l'on voulait vraiment le flanquer en pétard, on n'avait qu'à prononcer une phrase renfermant les mots « camion » et « farine ».
Le dernier des quatre, Anton Steyer, Obergefreiter, n'était jamais appelé autrement que Tom Pouce. Il mesurait tout juste un mètre cinquante et venait de Cologne, où il avait travaillé dans les parfums. Une altercation bruyante, dans une brasserie, l'avait conduit tout droit au camp de concentration, avec deux de ses copains. L'un était déjà tombé en Pologne, l'autre avait été porté déserteur, repris, exécuté.
Notre train mit six jours à atteindre sa destination, à savoir Fribourg, la pittoresque cité du sud de l'Allemagne. Nous savions que nous n'y resterions pas longtemps. La place d'un régiment disciplinaire n'est pas à l'arrière, mais toujours en première ligne, où s'écrivent les pages les plus sanglantes de l'histoire des peuples. Le bruit courait que nous allions être expédiés en Libye, via l'Italie, mais, en réalité personne n'en savait plus long que le voisin. Le premier jour s'écoula en formalités de classification, remise de feuilles de route et autres bagatelles. Nous eûmes même le temps de passer d'agréables moments à l'auberge Zum Goldenen Hirsch dont le jovial patron s'appelait évidemment Schultze et non moins évidemment se trouvait être un vieil ami de notre Joseph Porta.
Le vin était corsé, les filles jolies, et si nos voix n'étaient pas absolument harmonieuses, elles avaient, tout au moins, le mérite d'être puissantes.
Il y avait si longtemps que je n'avais participé à ce genre de bamboche, et tant de choses hideuses me poussaient encore aux épaules, que j'eus un mal de chien à enterrer le passé, ou plus exactement à le suspendre pour la nuit, l'occasion m'en étant offerte. Si j'y parvins ce soir-là, et, par la suite, pas mal d'autres soirs, ce fut grâce à Porta, au Vieux, à Pluton, à Tom Pouce. Ils étaient passés par toute la filière et maintenant, c'étaient des durs, et quand il y avait du pinard, des filles dociles et des chansons au programme, ils se foutaient éperdument du passé comme de l'avenir.
Au début, le cheminot refusa. Un bon national-socialiste ne pouvait décemment accepter de faire des courses pour d'anciens taulards ! Mais quand Porta lui glissa dans le tuyau de l'oreille quelques mots prometteurs concernant une bouteille de rhum, le cheminot oublia un instant sa qualité d'être supérieur, fila jusque chez Schultze, notre gras aubergiste, et revint très vite avec un paquet volumineux dont nous prîmes aussitôt livraison.
— T'es membre du parti, pas vrai ? questionna Porta (Joseph) avec un mélange ineffable d'innocence et de jovialité.
Le cheminot montra l'énorme insigne du parti nazi qui prétendait orner la poche de son uniforme.
— Bien sûr! Pourquoi que tu me demandes ça ?
Les yeux verts de Porta se plissèrent.
— Je vais te l'expliquer, mon petit pote. Si tu es membre du parti, tu obéiras au commandement du Führer stipulant que le bien de la collectivité passe avant celui de l'individu. Et tu vas, par conséquent, nous
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