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La Légion Des Damnés

La Légion Des Damnés

Titel: La Légion Des Damnés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sven Hassel
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de matériel et d'intelligence mal employée sous-entendu par des expressions telles que « avance effectuée conformément au plan », pour ne rien dire des « redressements du front » et de la « défense élastique », ont quelque chose de si démesurément tragique qu'on ne saurait les imaginer. Il me semble pourtant qu'il y a une explication à la pagaye incoercible de la guerre. Elle provient peut-être, entre autres causes, du fait que, sans pagaye, les responsabilités seraient beaucoup trop faciles à déterminer. Si l'on admet que la pagaye rend pratiquement impossible le dépistage des responsabilités, cette explication devient on ne peut plus plausible :
    Si Guerre = Pagaye Et Pagaye = Irresponsabilité Alors, Guerre = Irresponsabilité
    Et c'est une équation à laquelle nous aurons fréquemment l'occasion de revenir.
    Nous franchîmes ainsi la frontière serbe, où l'on nous apprit que, jusqu'à nouvel ordre, nous étions le 18 e Bataillon de la 12 e Panzer-Division et qu'on nous envoyait apprendre, quelque part dans les Balkans, le maniement d'un nouveau tank, après quoi nous serions expédiés au front. Dès qu'il connut la nouvelle, Porta s'écria avec un sourire extatique :
    — Au train où vont les choses, ça n'arrivera pas dans les trente-quatre ans à venir. Notre bonheur est assuré. On va tous être heureux comme des coqs en pâte et devenir rapidement milliardaires et je vais vous expliquer pourquoi. Dans les Balkans, les affaires sont plus florissantes que partout ailleurs en Europe, ceci parce qu'on y pratique, sur le plan commercial, la méthode directe : je te vole, tu me voles et pas d'histoires ! Et qu'est-ce qu'un soldat sinon d'abord un homme d'affaires ? Soyons donc de bons soldats, souvenons-nous de ce que nous avons appris et appliquons-le avec usure. Quand je quitterai ces adorables Balkans, ce sera dans la peau d'un jeune homme riche, satisfait et bien équipé !
    De Zagreb à Bania-Luka et de Bania-Luka à Sarajevo, puis un brusque plongeon vers Brod, au nord, et vers l'est à nouveau par-dessus la frontière hongroise... Ainsi roulait le 18 e Bataillon accomplissant des exploits mémorables, quoique d'une nature légèrement différente de ceux publiés chaque jour dans les communiqués, ou projetés sur les écrans des cinémas, à la rubrique des actualités, au profit d'assistances captivées par des musiques extrêmement martiales. Non, (soit dit en passant), le 18 e Bataillon ne fut jamais, ni filmé, ni même mentionné dans aucun communiqué. Ce n'était rien de plus qu'un de ces bataillons gris, anonymes, décimés et reformés, décimés et reformés, décimés et reformés sans trêve ni repos, pour une cause que nous haïssions, même si nous n'avions pas le don d'exprimer nos sentiments avec la concision enviable de Porta, qui n'était jamais à court de commentaires à ajouter aux commentaires invraisemblables des speakers de radio.
    Nous faillîmes laisser Porta en arrière, une première fois, dans la petite ville de Melykut, au nord-est de Pécs. Il grimpa en marche au dernier moment, avec l'aide de copains, et deux minutes plus tard, comme nous passions devant une masure des faubourgs de la ville, nous vîmes trois bohémiennes qui agitaient frénétiquement les bras, en signe d'adieu. Porta leur rendit leurs saluts en vociférant :
    — Au revoir, petites filles. Si vous avez un bébé et que ce soit un garçon, appelez-le Joseph, comme son père. Mais pour l'amour de la Sainte Vierge, n'en faites pas un soldat; plutôt un maquereau, c'est moins dégueulasse !
    Puis Porta s'installa confortablement dans un coin, sortit de sa poche un jeu de cartes incroyablement graisseux et nous convia dare-dare à l'inévitable partie de vingt-et-un. Nous jouions depuis quatre heures quand le train s'arrêta dans la petite ville-frontière de Mako, légèrement au sud-est de Szeged.
    On nous informa que nous faisions là une halte de dix heures avant de pénétrer en Roumanie. Nous sautâmes à terre pour aller jeter un coup d'œil alentour. Comme d'habitude, Porta partit en éclaireur et, comme d'habitude, il revint au bout d'un certain temps, s'approcha de moi et du Vieux avec son air le plus innocent et chuchota :
    — Rappliquez !
    La ville — quelque chose entre un village et une cité rurale — gisait morte dans la chaleur moite de l'après-midi. Nos vêtements nous collaient à la peau tandis que nous descendions côte à côte, suant et soufflant, la rue

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