La Légion Des Damnés
principale où des paysans déguenillés dormaient par terre à l'ombre des arbres. Brusquement, Porta franchit une palissade, traversa une haie, et nous nous trouvâmes dans une rue étroite bordée de petites maisons aux jardinets grands comme des mouchoirs de poche.
— Je renifle des choses ! annonça Porta.
Il prit le trot... et dut prendre le galop un peu plus tard, poursuivi par une douzaine d'hommes et de femmes en furie, tandis que le Vieux et moi passions inaperçus derrière une haie, une oie étranglée dans chaque main.
Le temps de regagner le train, de faire disparaître les oies, et nous repartîmes à la rescousse.
Porta venait d'ailleurs à notre rencontre, sous bonne escorte consistant en un lieutenant hongrois, deux Hon-ved, baïonnette au canon, une paire de nos propres policiers militaires et une bonne cinquantaine de civils hongrois, roumains, slovaques et bohémiens, glapissant et gesticulant.
Porta semblait prendre l'aventure avec le plus grand calme.
— Comme vous voyez, nous déclara-t-il, le régent hongrois Horty, le meilleur ami de notre Führer dans ce pays m'a fait raccompagner par une garde d'honneur.
Ce fut heureusement le Major Hinka qui reçut cette procession, lorsqu'elle atteignit la voiture-état-major du convoi. Non seulement Hinka était jeune et sympathique, mais c'était aussi le protecteur particulier de Porta. Calmement, il écouta les accusations proférées par le lieutenant hongrois ; puis, quand le lieutenant eut terminé, il commença :
— Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire ? Vol et tentative de meurtre ! Non content de nous amener toute la population sur le dos en étranglant des oies, que le diable m'emporte si vous n'avez pas également attaqué des soldats hongrois, nos frères d'armes ! Et chassé à coups de pied un chien de grande valeur. Brisé les fausses dents du bailli ! Provoqué deux fausses couches ! Qu'est-ce que vous avez à dire pour votre défense, espèce de minable gorille aux genoux cagneux ?
Le tout hurlé à pleine voix, de sorte que la foule excitée pût se rendre compte que son agresseur était en train de se faire copieusement laver la tête.
Sur le même ton, Porta répondit :
— Herr Major, ces crétins congénitaux sont si menteurs que mon âme pieuse en est ébranlée jusqu'au tréfonds. Par la coquille sacrée de sainte Elizabeth, je jure que je me promenais paisiblement, jouissant en toute innocence du temps idéal et de l'admirable panorama. J'étais au beau milieu d'une prière d'action de grâces, remerciant le Seigneur de m'avoir permis d'appartenir aux rangs privilégiés des soldats de notre grand et bien-aimé Führer et donné, par la même occasion, de visiter la très grande banlieue de notre bonne cité de Berlin, quand tout à coup, avec une soudaineté excessivement préjudiciable à mes nerfs délicats, je fus arraché à mes pieuses méditations par une bande de démons enragés surgis des buissons dans lesquels ils m'avaient attendu dissimulés en embuscade.
J'ignore ce qu'ils croient avoir à me reprocher ; et que pouvais-je faire alors sinon pousser un cri de terreur et prendre mes jambes à mon cou ? Ils en voulaient à ma peau, c'était visible. Vous remarquerez que l'un d'eux possède une montre et que d'autres fument la pipe. Ils ne voulaient donc me demander, ni du feu, ni l'heure qu'il était. Et puis, comme je prenais un virage sur l'aile à la vitesse maxima concevable en pareil cas, je me trouvai nez à nez avec un de ces guerriers d'opérette au stupide képi à plumes et à la poitrine barrée d'une palette.
Que pouvais-je faire lorsqu'il tenta de m'arrêter. sinon lui administrer une légère poussée, en toute courtoisie, comme de juste ? Je crois qu'il est tombé, en fait, assez rudement, mais s'il ne s'est pas encore relevé, je donnerai volontiers un bon coup de main pour le transporter à l'hosteau. Après cette rencontre, tout un poulailler de ces volailles empennées s'est précipité sur moi en hurlant comme des Indiens sur le sentier de la guerre ; s'il faut en croire, du moins, ce bouquin adorable — Herr Major l'a certainement lu — le "Tueur de daims", oui, c'est bien ça, et si vous ne l'avez pas lu, Herr Major, j'écrirai à ma grand-mère afin qu'elle me l'envoie, je sais qu'elle l'a toujours dans sa bibliothèque...
— Ça suffit, Porta ! beugla le major. Puis-je avoir l'explication de ces oies ?
Des larmes coulaient à présent, pour notre plus grande
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