LA LETTRE ÉCARLATE
les degrés et se tint debout sur l’estrade, tenant la petite Pearl par la main. Le pasteur chercha à tâtons l’autre main de l’enfant et la prit. À peine avait-il fait ce geste qu’il lui sembla que le flot tumultueux d’une vie nouvelle, d’une vie autre que la sienne, coulait à torrents par ses veines et montait inonder son cœur comme si la mère et l’enfant avaient communiqué leur chaleur vitale à son organisme engourdi. Tous les trois formaient comme une chaîne électrique.
– Pasteur ! murmura la petite Pearl.
– Qu’y a-t-il, enfant ? demanda le Révérend Dimmesdale.
– Te tiendras-tu ici avec ma mère et moi demain en plein midi ?
– Non, petite Pearl, répondit le pasteur, car avec ce retour momentané d’énergie vitale la terreur de se voir l’objet d’un scandale public se ressaisissait de lui, et, constater en quelle situation il s’était mis, déjà le faisait trembler – tout en lui faisant éprouver cependant une joie singulière. Non, pas aujourd’hui. Un jour viendra, en vérité, où je me tiendrai entre ta mère et toi, mais ce ne sera pas demain.
Pearl se mit à rire et tenta de retirer sa main. Mais le pasteur la tenait serrée.
– Encore un moment, enfant, dit-il.
– Mais promets-tu, reprit Pearl, de prendre ma main et la main de ma mère en les tiennes demain ? en plein midi ?
– Non, pas demain, Pearl, dit le pasteur, mais un autre jour.
– Et quel jour ? insista l’enfant.
– Le grand jour du Jugement dernier, murmura le pasteur. Et le sentiment d’être, par profession, un maître qui enseigne la vérité, le poussait, chose assez étrange, à répondre ainsi à l’enfant. « Alors, devant le grand Juge, nous devrons nous tenir, ta mère, toi et moi. Mais la lumière de ce monde ne verra pas notre rencontre. »
Pearl rit de nouveau.
Or le Révérend Dimmesdale n’avait pas achevé de parler qu’une lumière se mit à luire au loin et gagna tout le ciel couvert. Elle provenait certainement d’un de ces météores que le veilleur de nuit peut si souvent voir s’enflammer et s’éteindre dans les hautes régions vides de l’atmosphère. Le rayonnement en était si puissant que l’épaisse couche de nuages qui s’étendait entre le ciel et la terre en fut tout illuminée. Elle montra la rue avec la netteté du soleil de midi, mais aussi avec ce quelque chose d’horrible que prennent toujours les objets familiers dans une lumière inhabituelle. Les maisons de bois avec leurs étages en saillie, leurs pignons bizarres ; le pas des portes où pointaient des touffes d’herbe précoce ; les carrés de jardins noirs de terre fraîchement remuée, le chemin creusé par les roues des charrettes, peu utilisé, et, même sur la Place du Marché, bordé de vert des deux côtés : tout était visible mais sous un aspect singulier qui paraissait donner aux choses de ce monde une interprétation morale différente de toutes celles qui avaient pu leur être attribuées auparavant. Et le pasteur se tenait là debout, la main pressée contre son cœur ; et Hester Prynne avec la lettre brodée luisant sur sa poitrine ; et la petite Pearl, un symbole en elle-même, le lien qui unissait cet homme et cette femme. Ils se tenaient tous trois au milieu de cette étrange et solennelle splendeur, comme dans la lumière qui doit révéler tous les secrets ! comme dans l’aube du jour qui unira ceux qui s’appartiennent les uns aux autres.
Il brillait quelque chose de maléfique dans les yeux de la petite Pearl et son visage, comme elle le levait vers le pasteur, montrait ce sourire qui lui donnait si souvent l’air d’un méchant lutin. Elle libéra sa main et désigna de son index quelque chose de l’autre côté de la rue. Mais le pasteur joignit ses deux mains contre sa poitrine et leva les yeux au zénith.
Rien n’était plus commun, en ce temps-là, que d’interpréter le passage des météores, ou tout autre phénomène naturel se produisant avec moins de régularité que les levers et les couchers du soleil et de la lune, comme autant de révélations surnaturelles. C’est ainsi qu’une lance flamboyante, une épée de feu, un arc ou un faisceau de flèches apparus dans les cieux de minuit annonçaient une guerre avec les Indiens. La peste passait pour avoir été prédite par une pluie d’étincelles rouges. Nous doutons qu’aucun événement marquant, bon ou mauvais, ait jamais eu lieu en Nouvelle-Angleterre, depuis
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