LA LETTRE ÉCARLATE
d’un bras son manteau contre lui et tenant d’une main sa lanterne devant sa poitrine, son jeune confrère put à peine se retenir de lui dire :
– Bonsoir, vénérable Père Wilson. Montez un peu ici, s’il vous plaît, passer avec moi un bon quart d’heure !
Grands dieux ! Avait-il réellement parlé ? Un instant, il crut que les mots étaient bel et bien sortis de ses lèvres. Mais non, il ne les avait prononcés qu’en imagination. Le vénérable pasteur poursuivit son chemin, regardant avec soin où il mettait ses pas sur le sol boueux et sans retourner une seule fois la tête vers le pilori. Quand la petite lueur de la lanterne se fut tout à fait évanouie, le Révérend Dimmesdale s’aperçut, à l’accès de faiblesse qui s’empara de lui, qu’il venait de traverser une crise d’anxiété terrible encore que son esprit eût involontairement fait effort pour se soulager à l’aide d’une sorte de jeu sinistre.
Peu après, la même affreuse tendance comique se glissa de nouveau parmi les solennels fantômes qui peuplaient sa pensée. Comme il sentait ses membres se raidir sous l’effet du froid de la nuit, le Révérend Dimmesdale se demanda s’il allait pouvoir descendre du pilori. Le jour allait se lever et le trouver là. Les gens du voisinage s’éveilleraient. Le plus matinal, lorsqu’il sortirait dans la pénombre, apercevrait une silhouette indistincte debout sur l’ignominieuse estrade et, à moitié fou de peur et de curiosité, courrait frapper de porte en porte appelant tous les gens pour leur montrer ce qu’il prendrait pour le fantôme de quelque criminel défunt. Dans la grisaille, un tumulte battrait des ailes de maison en maison. Puis, tandis que la lumière du jour irait grandissant, patriarches et matrones, sortis du lit en toute hâte, s’élanceraient dehors sans prendre le temps d’enlever leurs vêtements de nuit. Toute la tribu de ces personnages si convenables, qu’on n’avait jamais vus avec un cheveu dépassant l’autre, se montrerait en public dans le désordre qui suit l’éveil d’un cauchemar. Le Gouverneur Bellingham sortirait de chez lui avec sa fraise du temps du roi Jacques toute de travers et dame Hibbins, avec quelques brindilles de la forêt accrochées à ses cottes et l’air plus acrimonieux que jamais, en femme qui n’avait pas eu le temps de fermer l’œil après sa chevauchée nocturne. Puis ce serait le tour du Révérend Wilson, qui après avoir passé la moitié de sa nuit au chevet d’un mourant trouverait mauvais d’être si tôt tiré de ses rêves touchant la glorification des saints. Viendraient aussi les anciens et les diacres de la paroisse du Révérend Dimmesdale et les jouvencelles qui idolâtraient leur pasteur et lui avaient dressé un autel en leur blanche poitrine que, dans leur précipitation, elles n’auraient qu’à peine pris le temps de couvrir d’un fichu. Tous les habitants de la ville en un mot accourraient, trébuchant sur le pas de leurs portes, et viendraient lever des visages frappés d’horreur autour de l’échafaud. Et qui verraient-ils là avec la lumière rouge du levant sur son front ? Qui, sinon le Révérend Arthur Dimmesdale, à demi mort de froid, écrasé de honte et se tenant à l’endroit où Hester Prynne s’était tenue !
Entraîné par l’horreur grotesque de ce tableau, le pasteur éclata, sans s’en rendre compte et à sa propre alarme, d’un grand éclat de rire. Un autre rire lui répondit, aérien, léger – un rire d’enfant en quoi il reconnut avec un frisson – mais de peine ou de plaisir, il ne sut – les accents de la petite Pearl.
– Pearl ! petite Pearl ! s’écria le Révérend Dimmesdale après un silence. Puis baissant la voix : Hester ! Hester Prynne, êtes-vous là ?
– Oui, répondit Hester d’un ton de surprise, et le pasteur l’entendit s’approcher. Oui, je suis là avec ma petite Pearl.
– D’où venez-vous, Hester, qui vous envoie ici ? demanda le pasteur.
– Je viens de veiller au chevet d’un mourant, du Gouverneur Winthrop, répondit Hester. J’ai pris ses mesures pour le manteau avec lequel on le mettra en terre et, à présent, je reviens chez moi.
– Viens ici, Hester, viens avec la petite Pearl, dit le Révérend Dimmesdale. Vous vous êtes déjà trouvées ci-dessus toutes deux, mais je n’étais pas avec vous. Venez ici encore une fois pour que nous soyons tous les trois ensemble.
Hester gravit en silence
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