LA LETTRE ÉCARLATE
l’établissement de la colonie jusqu’à la période révolutionnaire, sans que les habitants en eussent été avertis par quelque spectacle de ce genre. Il n’était pas rare que des multitudes en eussent été témoins. La plupart du temps, toutefois, son authenticité ne s’appuyait que sur la foi de quelque solitaire témoin oculaire qui avait vu la merveille à travers les verres colorés, grossissants, déformants de son imagination et l’avait remodelée après coup. C’était en vérité une idée majestueuse que le destin des nations dût ainsi être révélé par d’effrayants hiéroglyphes sur la voûte du ciel. Un parchemin de cette taille pouvait ne pas paraître trop grand quand il s’agissait, pour la Providence, d’inscrire l’histoire d’un peuple. Ce point de vue était cher à nos ancêtres. Ils en faisaient une façon d’acte de foi, y trouvaient la preuve que le ciel avait pris leur république naissante sous sa garde et veillait sur elle avec une affection et une sévérité toutes particulières. Mais que penser lorsqu’un individu croit découvrir une révélation à son adresse sur le vaste feuillet de ces annales ? On ne peut voir là que le symptôme d’un désordre mental, la preuve qu’une souffrance longue, intense et secrète a poussé cet individu à une contemplation si incessante et si morbide de son cas qu’il en est arrivé à étendre son moi sur toute la nature. Le firmament alors finit par ne plus lui paraître autre chose qu’une page où consigner l’histoire de son destin et de son âme.
Aussi est-ce seulement au mal de ses yeux et de son cœur que nous imputons le fait qu’en regardant le zénith le pasteur crut voir une lettre immense – la lettre A – se dessiner là-haut en rouge sombre. Seul le météore avait pu se faire voir là, flamboyant sourdement derrière un voile de nuages, mais sans prendre d’autre forme que celle que lui donnait l’imagination d’un coupable, ou ne la prenant que si vaguement qu’un autre coupable aurait pu l’interpréter comme un autre symbole.
Une circonstance singulière caractérisait l’état psychologique du Révérend Dimmesdale en ce moment. Tout en tenant ses regards fixés sur le zénith, il se rendait parfaitement compte que la petite Pearl désignait du doigt le vieux Roger Chillingworth arrêté à une assez courte distance de l’échafaud. Le pasteur semblait le voir du même regard qui discernait là-haut la lettre miraculeuse. La lumière du météore donnait à son visage comme à tout le reste une nouvelle expression. Ou peut-être le médecin ne prenait-il pas alors soin de cacher, en regardant sa victime, le mal qu’il lui voulait. Si le météore éclairait le ciel et la terre avec une majesté terrible qui annonçait à Hester Prynne et au pasteur le jour du Jugement dernier, Roger Chillingworth pouvait passer à leurs yeux pour le démon attendant avec un rictus et un froncement de sourcils l’instant de réclamer les siens. Son expression était si nette, ou le pasteur en avait une si intense conscience, qu’elle parut se dessiner encore dans les ténèbres après qu’eut disparu le météore en donnant l’impression que la rue et tout le reste s’étaient du même coup annihilés.
– Qui est cet homme, Hester ? murmura, haletant, le Révérend Dimmesdale saisi de terreur. Il me fait trembler ! Le connais-tu ? Je le déteste, Hester !
Hester se souvint de son serment et se tut.
– Je te dis que mon âme tremble devant lui ! murmura de nouveau le pasteur. Qui est-il ? Qui est-il ? Ne peux-tu m’aider ? J’ai une horreur sans nom de cet homme !
– Pasteur, dit la petite Pearl, je peux te dire qui il est.
– Vite alors, enfant, dit le pasteur en se penchant et mettant son oreille tout près des lèvres de la petite fille. Vite et aussi bas que tu pourras.
Pearl marmotta quelque chose qui ressemblait bien à du langage humain mais n’était qu’échantillon de ce baragouin dont on peut entendre les enfants s’amuser des heures entières. En tout cas, s’il s’agissait de quelque information secrète touchant le vieux Roger Chillingworth, elle était exprimée dans une langue inconnue du savant clergyman et ne fit qu’augmenter le désarroi de son esprit. L’enfant-lutin se mit à rire.
– Te moques-tu de moi ? demanda le pasteur.
– Tu n’as pas été hardi, tu n’as pas été loyal ! répondit l’enfant. Tu n’as pas voulu promettre de
Weitere Kostenlose Bücher