LA LETTRE ÉCARLATE
qui connaît le monde un brin ! Mais ce pasteur ! Peux-tu tout de bon m’assurer, Hester Prynne, que cet homme était le même que celui que tu rencontras sur le chemin de la forêt ?
– Madame, je ne sais de quoi vous parlez, répondit Hester Prynne, sentant que dame Hibbins avait le cerveau dérangé, mais étrangement impressionnée tout de même de l’entendre affirmer avec une telle assurance l’existence de rapports entre tant de gens (elle-même y compris) et le Malin. Je ne saurais parler légèrement d’un savant et pieux ministre du Seigneur comme le Révérend Dimmesdale.
– Fi donc ! femme ! Fi donc ! s’écria la vieille dame en secouant son index pointé vers Hester. Crois-tu qu’ayant été si souventes fois en forêt, je ne sais reconnaître qui d’autre y fut ? Que si ! Je les reconnais tous, même si nulle feuille des guirlandes sauvages qu’ils portaient en dansant ne reste en leurs cheveux ! Je te reconnais, Hester Prynne, car sur toi bien nette est la marque, nous la pouvons tous voir au soleil et, de nuit, elle brille comme flamme rouge. Tu la porte ouvertement, aussi ne saurait-il y avoir là-dessus aucun doute. Mais le pasteur ! Laisse que je te dise à l’oreille ! Quand l’Homme Noir voit un de ses serviteurs aussi peu empressé à reconnaître le lien qui le lie que ce Révérend Dimmesdale, il fait en sorte que la marque soit découverte en pleine lumière aux yeux de tout le monde ! Qu’est-ce donc que le pasteur cherche à cacher en pressant sa main sur son cœur ? Hé ? Hester Prynne ?
– Oh, qu’est-ce que c’est, bonne dame Hibbins ? demanda avec ardeur la petite Pearl.
– Il n’importe, ma toute belle ! répondit vieille dame Hibbins en faisant à Pearl une profonde révérence. Tu le verras toi-même un jour ou l’autre. On dit, enfant, que tu descendrais du Prince des Airs ! Viendras-tu point avec moi une jolie nuit voir ton père ? Alors, tu apprendrais pourquoi le pasteur tient sa main sur son cœur !
Et avec un rire si strident que toute la Place du Marché le pouvait entendre, la fantastique vieille dame s’en fut.
Pendant ce temps, la prière préliminaire avait été dite dans le temple et on entendait les accents du Révérend Dimmesdale qui commençait son discours. Un sentiment irrésistible maintint Hester aux environs. Comme l’édifice sacré était trop plein pour qu’y pût pénétrer un autre auditeur, elle prit place tout contre l’estrade du pilori. Elle se trouvait ainsi assez près pour que le sermon parvînt à ses oreilles sous forme d’un murmure indistinct, mais aux modulations variées, où se reconnaissait très bien la voix tout à fait particulière du pasteur.
Cette voix était en elle-même un don des plus rares – expressive au point que des auditeurs qui n’auraient pas compris la langue du prédicateur auraient tout de même été bercés par les seuls accents et la seule cadence de ses phrases. Comme toute autre musique, cette voix exprimait la passion et toutes sortes d’émotions – les plus élevées et les plus tendres – dans la langue maternelle du cœur humain. Pour assourdie qu’elle fût par les murs de l’église, Hester l’écoutait avec une intensité, une sympathie telles, que le sermon avait pour elle un sens tout à fait indépendant de celui qu’en pouvaient présenter les mots insaisissables. Plus distincts, ceux-ci n’auraient été que des intermédiaires plus grossiers, des entraves pour l’essor spirituel. Tantôt Hester saisissait seulement un murmure qui évoquait le vent quand il s’apaise pour se reposer. Tantôt elle s’élevait en même temps que des accents qu’amplifiaient progressivement toutes les nuances de la douceur et de la puissance, plus haut, de plus en plus haut jusqu’à ce qu’elle fût comme enveloppée par le volume de cette voix magique et ravie dans une atmosphère d’horreur sacrée et de grandeur. Et cependant, pour majestueuse qu’elle pût par instants devenir, cette voix gardait toujours quelque chose d’essentiellement plaintif, évoquait une angoisse qui tantôt éclatait, tantôt résonnait en sourdine – murmure ou cri de l’humanité souffrante qui allait toucher un point sensible en chaque poitrine ! Par moment, cette note pathétique se laissait seule et à peine entendre : soupir au milieu d’un silence de désolation. Mais même lorsque la voix du prédicateur s’élançait – sonore, impérieuse,
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