La Liste De Schindler
conviction.
Ingrid était venue avec Oskar à Brinnlitz pour travailler dans l’usine, mais elle logeait hors du camp et n’était là que pendant les heures de bureau. Leurs relations s’étaient considérablement rafraîchies et elle ne vivrait plus jamais avec Oskar. Mais elle ne lui en tenait pas rancune, et Oskar irait d’ailleurs souvent lui rendre visite dans son appartement. Quant à Klonowska, elle était restée à Cracovie, là encore sans amertume. Oskar la reverrait d’ailleurs à l’occasion de voyages à Cracovie et elle lui rendrait encore bien des services quand les SS chercheraient à nouveau à lui créer des ennuis. Mais il serait erroné de croire qu’il s’était acheté une conduite simplement parce que ses relations avec Ingrid et Klonowska prenaient un tour plus serein et se terminaient sans animosité.
Sitôt les prisonniers arrivés, il leur dit que les femmes ne devraient pas tarder et qu’elles n’auraient guère plus de retard que celui qu’ils avaient connu. Il se trompait. Le voyage des femmes fut très différent du premier. Après avoir été embarquées à Plaszow avec quelques centaines d’autres prisonnières, elles se retrouvèrent au bout de quelques heures devant les portes d’Auschwitz-Birkenau. Une fois les wagons ouverts, elles descendirent sur l’immense place coupant le camp en deux où des SS, hommes et femmes, commencèrent à faire le tri en parlant calmement et en affectant une indifférence terrifiante. Quand une femme ne bougeait pas assez vite à leur gré, ils lui donnaient un coup de matraque, sans mauvaise humeur, simplement comme s’il s’agissait d’un geste professionnel pour que les cadences soient maintenues. Les SS affectés au tri le long des voies de garage de Birkenau commençaient à trouver leur travail mortellement ennuyeux. Ils avaient déjà entendu toutes les histoires, toutes les suppliques. Ils connaissaient toutes les ficelles.
Debout sous les projecteurs, les femmes s’interrogeaient sur la signification de tout cela. Mais, bien qu’engourdies, gelées, les pieds collés dans cette boue qui symbolisait Birkenau, elles suivaient avec attention les gesticulations des femmes SS et la consigne qu’elles adressaient aux médecins en uniforme : « Schindlergruppe. » Les médecins tournaient alors les talons et les laissaient en paix pour quelque temps.
Elles pataugèrent dans la boue jusqu’à la salle d’épouillage et de douches où des femmes SS, matraque en main, leur donnèrent l’ordre de se déshabiller. Mila Pfefferberg, qui, comme la plupart des prisonniers des camps, avait entendu parler des pommes de douche dont sortaient des gaz mortels, poussa un soupir de soulagement quand l’eau glacée se mit à couler.
Certaines d’entre elles pensaient qu’après la douche on leur tatouerait un numéro sur le bras. Elles avaient entendu dire que c’était la procédure standard pour ceux reconnus aptes au travail. Les autres iraient alimenter les fours. Les deux mille prisonnières arrivées avec elles et qui n’étaient pas des Schindlerfrauen avaient été triées en fonction des normes tout à fait aléatoires appliquées à Auschwitz. En fait, c’était un peu la loterie. Rebecca Bau avait eu son tatouage, comme sa belle-mère, une robuste femme. Une fille de Plaszow, âgée de quinze ans, s’était réjouie que son numéro tatoué comporte deux 5, un 3 et deux 7, tous chiffres pleins de promesses selon le Tashlag, le calendrier juif. Le tatouage était le dernier espoir. Celui qui l’avait savait qu’il irait dans un des camps de travail d’Auschwitz où il aurait encore au moins une chance.
Quand les Schindlerfrauen, toujours sans tatouage, se furent rhabillées, on les conduisit dans une baraque sans vitres située dans la partie du camp réservée aux femmes. Il y avait au milieu de la pièce un petit poêle en briques réfractaires. Mais pas de couchettes superposées. Les Schindlerfrauen devraient dormir à deux ou trois sur chacune des maigres paillasses posées à même le sol d’argile qui suintait l’humidité et détrempait tout. C’était bien un dortoir de la mort, en plein milieu de Birkenau. Elles s’installèrent, mal à l’aise et tremblantes de froid, dans cet univers de boue.
Elles n’arrivaient plus à imaginer un petit village, quelque part en Moravie. Dans cet univers de transit de Birkenau abritant la population d’une ville, il y avait parfois deux cent cinquante mille
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