La Liste De Schindler
Pfefferberg découvrit que la popote était dirigée par un ancien sous-officier de l’armée polonaise qu’il avait connu au tout début de la guerre. Le sous-officier donna une tranche de pain à Poldek et le laissa dormir près du feu. Les autres, en revanche, passèrent la nuit dans leur position inconfortable.
Chaque jour ils devaient se rendre sur l’Appellplatz et rester là pendant plus de dix heures, au garde-à-vous, sans broncher. Le soir, après la soupe moins épaisse qu’un brouet, ils pouvaient quand même aller d’une baraque à l’autre, serrer des mains, parler, avant de reprendre, au coup de sifflet de 21 heures, leur curieuse position pour la nuit.
Au cours du deuxième jour, un officier SS vint sur l’Appellplatz à la recherche du scribouillard qui avait établi la « liste Schindler ». Plaszow avait tout simplement omis d’en envoyer une copie à Gröss-Rosen. On amena Goldberg, tremblant de froid, dans un bureau où on lui demanda de refaire la liste de mémoire. Travail difficile qu’il ne parvint pas à mener à bien en l’espace d’une journée. Quand il se retrouva le soir dans sa baraque, il fut littéralement assailli par tous ceux qui espéraient voir encore leur nom figurer sur la liste. Cette sacrée liste irradiait encore un halo de rêve et de rancune, même si elle n’avait réussi, pour le moment, qu’à mener les élus à Gröss-Rosen. Pemper et quelques autres firent le siège de Goldberg pour qu’il y inclût le Dr Alexander Biberstein, frère de Maek Biberstein qui avait été le premier président du Judenrat de Cracovie. Avant le départ de Plaszow, Goldberg avait laissé entendre à Biberstein qu’il était bien sur la liste. Ce n’est qu’une fois le convoi en route que le médecin s’aperçut qu’il avait été berné. Mais même dans l’environnement sinistre de Gröss-Rosen, Mietek Pemper se sentait assez sûr de ses bases pour menacer Goldberg de représailles après la guerre si le nom de Biberstein n’était pas ajouté dès le lendemain matin.
Le troisième jour, les huit cents hommes dont les noms figuraient sur la nouvelle liste furent séparés du reste des prisonniers et conduits une nouvelle fois dans la salle de douches. Ils furent ensuite autorisés à s’asseoir devant leurs baraques où ils restèrent quelques heures à bavarder. Puis, départ vers la voie ferrée et embarquement dans les wagons à bestiaux après une maigre distribution de pain. Aucun des gardes affectés à leur surveillance ne semblait connaître leur destination. Ils s’assirent sur les plates-formes de la manière prescrite. Tous avaient en tête la carte de l’Europe centrale et, en se guidant sur les rayons de soleil qui filtraient à travers les bouches d’aération fixées au sommet des wagons, ils essayaient de déterminer la direction prise par le train. Hissé sur les épaules de ses compagnons, Olek Rosner, l’œil collé à une de ces bouches, décrivait le paysage : montagnes et forêts. Les experts en navigation décrétèrent que le train devait se diriger vers le sud-est. C’est-à-dire en direction de la Tchécoslovaquie. Mais personne n’osait encore prononcer le mot magique.
Il leur fallut près de deux jours pour couvrir les quelque deux cents kilomètres qui les séparaient de Zwittau. On les fit descendre au petit matin dans la gare avant de les mener en colonne à travers une ville encore endormie qui dégageait une atmosphère de la fin des années 30. Même les graffitis sur les murs : « Pas de juifs a Brinnlitz », fleuraient leur avant-guerre. Les prisonniers avaient tellement pris l’habitude de vivre dans un monde où tout leur était tabou qu’ils trouvaient un peu naïf de la part des gens de Zwittau que ceux-ci veuillent simplement les garder « hors » de quelque chose.
Après une marche de cinq ou six kilomètres le long de la voie ferrée dans un paysage de collines, ils arrivèrent dans le petit village industriel de Brinnlitz où toute une partie de l’usine Hoffman avait été transformée en Arbeitslager (camp de travail), avec miradors, barbelés, portail d’entrée, baraque pour les gardes et dortoir pour les prisonniers.
Alors qu’ils arrivaient au portail, Oskar apparut dans la cour de l’usine. Il portait un chapeau tyrolien flambant neuf.
CHAPITRE 33
Le camp avait été équipé aux frais d’Oskar, comme à Emalia. Selon les normes bureaucratiques en vigueur, tous les camps destinés à
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