La Liste De Schindler
n’avait pour tout frein que cette femme pleine de bon sens et de dévouement : Emilie, sa femme.
La période agricole d’Oskar ne fut pas un succès. L’homme était fait pour la chasse, pas pour l’élevage. Il fit faillite en 1957 comme de nombreuses entreprises agricoles de la région. Emilie et Oskar se retirèrent dans une maison de San Vincente, un faubourg de Buenos Aires, que leur avait procurée le B’nai B’rith , une organisation juive. Oskar essaya de trouver un travail comme représentant de commerce. Mais il abandonna au bout d’un an et retourna en Allemagne. Sans Emilie.
Il vécut quelque temps à Francfort dans un petit appartement et tenta de réunir les fonds nécessaires pour acheter une fabrique de ciment. Il avait déposé auprès du ministère des Finances une demande en compensation pour la perte de ses propriétés industrielles en Pologne et en Tchécoslovaquie. Sans succès. Plusieurs personnes ont affirmé que certains fonctionnaires nazis encore en poste ne mettaient aucun zèle à faire avancer ses dossiers. En fait, si la demande d’Oskar ne fut pas prise en compte, ce fut sans doute pour des raisons techniques, car on n’arrive pas à déceler une quelconque mauvaise foi bureaucratique dans la correspondance émanant des divers services administratifs.
La fabrique de ciment Schindler vit finalement le jour grâce à un don de la Commission d’entraide et à différents « prêts » d’anciens de Brinnlitz qui avaient bien réussi en Allemagne. Mais en 1961, l’affaire fut mise en liquidation : une longue série d’hivers rigoureux avaient ralenti considérablement l’industrie du bâtiment. Et surtout – certains survivants de l’époque en témoigneront –, Oskar était désormais incapable de s’adapter à tout travail de longue haleine. Cette faillite-là lui était en partie imputable.
Ayant appris ses ennuis, les Schindlerjuden d’Israël l’invitèrent à leurs frais. Un encart publicitaire parut dans un journal israélien en langue polonaise : tous les anciens de Brinnlitz qui avaient connu « Oskar Schindler, l’Allemand », étaient priés de contacter le journal. Oskar fut reçu triomphalement. Il avait un peu perdu de sa sveltesse ; ses traits s’étaient empâtés. Mais tous ceux qui l’avaient connu retrouvèrent à l’occasion des diverses réceptions le même Oskar indomptable. Deux faillites n’avaient en rien altéré son humour, son sens de la repartie, son charme contagieux et son penchant pour la bouteille.
La visite d’Oskar en Israël passa d’autant moins inaperçue qu’il était arrivé à l’époque où s’ouvrait le procès d’Adolf Eichmann. Le correspondant du journal britannique Daily Mail écrivit un éditorial mettant en parallèle l’action des deux hommes, et citant le préambule d’un appel lancé par les Schindlerjuden pour venir en aide à Oskar : « Nous n’oublions pas les malheurs d’Egypte, nous n’oublions pas Haman, nous n’oublions pas Hitler. Mais si nous n’oublions pas les méchants, nous nous rappelons les justes. Rappelons-nous Oskar Schindler. »
Certains survivants de l’holocauste avaient cependant du mal à croire qu’Oskar ait pu diriger un camp de travail où les brutalités n’existaient pas. Pour eux, c’était tout simplement inconcevable dans l’Allemagne en guerre.
— Comment expliquez-vous que vous connaissiez tous les officiers SS de la région de Cracovie et que vous ayez eu des contacts réguliers avec eux ? demanda un journaliste au cours d’une conférence de presse.
— A ce moment-là de l’histoire, répondit Oskar, il était plutôt difficile de discuter du sort des juifs avec le grand rabbin de Jérusalem.
Le bureau des témoignages de Yad Vashem avait demandé à Oskar, lorsqu’il était en Argentine, de lui fournir un récit de ses activités à Cracovie et à Brinnlitz. Maintenant le conseil d’administration de Yad Vashem, sur les instances d’Itzhak Stern, de Jakob Sternberg et de Moshe Bejski (l’ancien faussaire d’Oskar devenu un éminent légiste), envisageait de rendre un hommage officiel à Oskar. Le président du conseil d’administration était le juge Landau, membre de la Cour suprême de justice. C’est lui qui avait présidé au procès d’Eichmann. Yad Vashem avait sollicité et avait reçu une masse de témoignages sur la conduite d’Oskar. Quatre de ces témoignages étaient critiques : ils reprochaient à Oskar ses
Weitere Kostenlose Bücher