La Liste De Schindler

c’était un bonhomme, tout seul, qui la leur avait promise. Edith Liebgold n’avait pas douté une seconde que ce qu’il disait était la vérité. Pas seulement parce qu’il fallait bien croire à quelque chose, pas seulement parce que ce type de discours vous réveillait un peu : il n’y avait pas d’autre choix. Au moment où Herr Schindler faisait ses promesses, il fallait y croire ou ne plus croire à rien.
    C’est avec la tête flottant dans un heureux brouillard que les nouvelles recrues de la DEF reçurent leurs consignes de travail. Elles étaient dans l’état d’esprit de la jeune paysanne à qui une vieille cartomancienne vient de prédire qu’elle épousera le prince charmant. La promesse qui venait d’être faite avait considérablement modifié le regard qu’Edith Liebgold portait sur la vie. Si, un jour, elle devait se trouver devant le peloton d’exécution, elle trouverait sans doute le moyen de dire : « Mais Herr Direktor avait promis que ça n’arriverait pas. »
    Le travail n’exigeait aucun effort intellectuel. Edith transportait les casseroles sortant des cuves d’émail jusqu’aux fours, à l’aide d’une longue perche munie d’un crochet. Pendant tout le temps qu’elle travaillait, elle réfléchissait aux paroles de Herr Schindler. Il fallait qu’il soit fou pour faire des promesses aussi extravagantes. Et pourtant, elle avait bien vu qu’il n’était pas fou. C’était un homme d’affaires. Un homme d’affaires qui se rendait à un dîner en ville. Il devait donc savoir. Cet homme devinait-il l’avenir? Avait-il des contacts avec l’au-delà ? Non, ça ne cadrait pas. Son allure, sa main avec la bague en or..! Ce n’était pas la main d’un prophète. Plutôt la main de quelqu’un qui sait prendre les plaisirs de la vie là où ils se trouvent, qu’il s’agisse de femmes ou de vin. Elle envisagea à nouveau l’hypothèse de la folie, de l’ivresse ou alors d’un délire mystique. Tout cela pour revenir à la case départ : oui, Herr Direktor lui avait insufflé le virus. Désormais, elle y croyait.
    La plupart des gens à qui Oskar Schindler allait tenir ce genre de promesses au cours des années à venir gambergeraient de la même manière qu’Edith. Mais certains tireraient d’autres conclusions qu’elle : si cet homme se trompait, s’il racontait des bobards, alors, tout s’effondrait. On ne pouvait plus croire en rien, ni en Dieu, ni en l’homme. Pourtant, il fallait bien continuer à vivre, il fallait bien parier sur quelque chose. Mais les cartes, à l’époque, étaient tellement truquées…

CHAPITRE 9
     
    Au cours de ce printemps, Schindler quitta Cracovie au volant de sa BMW pour se rendre à Zwittau. Il avait beaucoup de monde à voir : Emilie, bien sûr, mais aussi sa sœur et ses tantes. Toutes s’étaient coalisées contre son père ; toutes avaient tressé la couronne du martyre à sa mère. Si quelqu’un devait établir un parallèle entre les malheurs de sa défunte mère et ceux de sa femme, Oskar Schindler – chaudement engoncé dans son manteau à col de fourrure, ses mains gantées de pécari reposant sur le volant de son cabriolet de luxe, allumant ses cigarettes turques sur les quelques lignes droites de la route tortueuse des Jesenik – aurait été le dernier à le faire. Oskar était encore trop jeune de caractère pour accepter de voir les choses en face. Son père, lui, c’était différent. Il l’avait placé autrefois sur un piédestal. Et il en était tombé.
    Il se réjouissait de revoir ses tantes – la façon dont elles levaient les bras au ciel en signe d’admiration pour la coupe de ses costumes l’avait toujours ravi. Sa sœur avait épousé un directeur des chemins de fer et vivait dans un appartement de fonction très agréable. Son mari était un gros bonnet de la ville car Zwittau était un nœud ferroviaire important, notamment pour le trafic des marchandises. Oskar but le thé avec sa sœur et son mari, puis un peu de schnaps. On sentait que chacun appréciait ce que l’autre était devenu. Les enfants Schindler ne s’étaient pas trop mal débrouillés, après tout.
    La sœur d’Oskar avait veillé sur sa mère et en avait pris soin jusqu’à la mort de la vieille dame, et maintenant c’était encore elle qui allait rendre visite à leur père en secret. Elle ne pouvait guère faire moins que tâter le terrain en vue d’une réconciliation future. Elle s’y essaya au moment