La Liste De Schindler
restait calme devant cet amoncellement artistique. Ce qui importait, c’était sa valise pleine de vêtements, de bijoux ou de billets.
Pfefferberg avait réalisé son plus beau coup l’année précédente quand le gouverneur Frank avait décidé de retirer de la circulation tous les billets de cent et de cinq cents zlotys qui devaient être déposés à la Banque de crédit du Reich. Un juif n’avait le droit d’échanger que deux mille zlotys. Ce qui voulait dire que tous les billets cachés – au-dessus de deux mille zlotys et en infraction avec les règlements – n’auraient plus aucune valeur. A moins de connaître quelqu’un de type aryen et sans brassard qui voudrait bien faire la queue pour vous avec les Polonais non juifs devant les guichets de la Banque de crédit. Pfefferberg et un de ses jeunes amis juifs avaient récolté plusieurs centaines de milliers de zlotys en coupures désormais interdites au sein du ghetto. Ils s’étaient rendus à la banque avec une valise pleine de billets et étaient revenus avec l’équivalent en monnaie d’Occupation (moins, bien sûr, les pots-de-vin qu’ils avaient dû verser aux policiers polonais à l’entrée du ghetto).
Voilà le type de policier qu’était Pfefferberg : plein de talent selon les standards établis par le président Arthur Rosenzweig ; lamentable selon ceux des autorités d’Occupation.
Oskar se rendit dans le ghetto en avril, à la fois par curiosité et parce qu’il voulait voir un bijoutier à qui il avait confié la fabrication de deux bagues. Il trouva l’endroit surpeuplé au-delà de tout ce qu’il avait pu imaginer: deux familles par chambre à moins de connaître quelqu’un bien placé au Judenrat. Il traînait une odeur d’égout dans la plupart des appartements, et les femmes se prémunissaient contre le typhus en frottant vaillamment les parterres et en faisant bouillir les vêtements dans des lessiveuses.
— Les choses sont en train de bouger, confia le bijoutier à Oskar. On a distribué des matraques aux OD.
L’administration du ghetto, comme celle de tous les ghettos de Pologne, avait changé de tutelle. Le gouverneur Frank avait passé la main à la section 4B de la Gestapo. Désormais l’autorité suprême pour tout ce qui concernait les juifs de Cracovie était l’Oberführer SS Julian Scherner, un robuste gaillard proche de la cinquantaine, qui, avec sa calvitie et ses grosses lunettes de myope, avait le type même du fonctionnaire anodin. Oskar l’avait rencontré dans différentes réceptions. Scherner parlait beaucoup, non pas de la guerre mais des affaires et des investissements. C’était le genre de fonctionnaire qui proliférait dans le ventre mou de la hiérarchie SS : bon vivant avec un penchant pour les femmes, l’alcool et les biens confisqués. Un sourire en coin trahissait parfois son contentement à l’idée des miraculeux pouvoirs qui lui étaient conférés. Ce n’était pas un mauvais garçon, encore qu’il sût parfois se montrer cruel. Oskar pensait que Scherner était homme à préférer faire travailler les juifs plutôt que les tuer, à enfreindre le règlement chaque fois qu’il pouvait en tirer quelque bénéfice, mais qu’il suivrait toujours la ligne du parti, quelles que fussent les options choisies.
Oskar s’était rappelé au bon souvenir du chef de la police en lui envoyant une demi-douzaine de bouteilles de cognac pour Noël. Maintenant qu’il était monté en grade, il faudrait faire plus pour le Noël suivant.
Ce changement dans la hiérarchie des pouvoirs – les SS passant du rôle d’exécutants à celui de dirigeants – devait avoir des répercussions sur le fonctionnement des OD. A l’approche de l’été, Symche Spira, un ancien marchand de glaces, était devenu l’homme qui comptait au sein de l’OD. Spira, un juif orthodoxe, méprisait profondément les libéraux qui siégeaient encore au Judenrat.” Il prenait ses ordres non pas d’Arthur Rosenzweig, mais de l’Untersturmführer Brandt et du quartier général SS de l’autre côté du fleuve. Les relations qu’il avait établies avec Brandt le mettaient en position de force. Brandt lui avait demandé de former une section politique pour laquelle il recruta quelques-uns de ses amis. Ils portèrent bientôt un uniforme complet : chemise grise, culotte de cheval, ceinturon et bottes.
La section politique de Spira, composée de recrues vénales, d’hommes bourrés de complexes qui
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