La Liste De Schindler
Ghettomenschen allaient y tenir.
— J’ai fait le compte, dit-il.
Il avait en effet calculé que si l’on entassait deux cents femmes dans chaque baraquement dressé sur la colline, comme ça paraissait probable, il y aurait de la place pour six mille femmes dans le quartier du haut. Le secteur des hommes, en bas, était encore en chantier, mais au rythme où les choses allaient à Plaszow, il pourrait être terminé dans les prochains jours.
— Tout le monde dans l’usine sait ce qui va se passer, expliqua Oskar. Inutile de garder les équipes de nuit sur place étant donné qu’il n’y aura plus de ghetto où aller. Tout ce que je peux leur dire, poursuivit Oskar en prenant une autre ration de cognac, c’est qu’elles ne doivent pas chercher à se cacher à moins d’être bien sûres de l’endroit.
Il avait entendu dire que le ghetto serait entièrement nivelé après l’expulsion des habitants. Toutes les cachettes, les caves, les galeries seraient fouillées et condamnées.
Ainsi, si bizarre que cela puisse paraître, Stern, une des cibles de la prochaine Aktion, était en train de réconforter Herr Direktor Schindler, qui ne serait qu’un simple témoin. Mais le souci que donnaient à Oskar ses travailleurs juifs était en quelque sorte dilué dans la plus vaste tragédie de la fin imminente du ghetto. Plaszow était un centre de main-d’œuvre, disait Stern. On pouvait très bien y survivre. Rien de commun avec Belzec où l’on fabriquait la mort de la même manière que Henry Ford fabriquait des voitures. Peut-être serait-il humiliant de devoir s’aligner chaque fois qu’on en recevrait l’ordre, mais Plaszow ne serait quand même pas la fin du monde. Quand Stern eut fini de parler, Oskar s’agrippa à son bureau et, pendant quelques secondes, sembla vouloir l’arracher de son socle.
— Foutaises, Stern, foutaises ! dit-il. Vous savez bien que ce n’est pas suffisant.
— Il le faudra bien, répondit Stern. C’est la seule façon de s’en tirer.
Et, bien que lui-même se sentît menacé, il poursuivit son argumentation, citant des rumeurs qui avaient couru, coupant les cheveux en quatre. Car Oskar était en pleine crise. Stern savait que si Oskar perdait tout espoir, tous les travailleurs juifs d’Emalia seraient expédiés Dieu sait où.
— Il arrivera un moment où l’on pourra agir d’une façon moins négative, dit Stern, mais plus tard.
Lâchant enfin son bureau, Oskar se renfonça dans son fauteuil pour expliquer ce qui lui valait d’être si déprimé.
— Vous connaissez Amon Goeth, dit-il. Il a du charme. Il pourrait venir ici et vous seriez sous le charme. Seulement, voilà, il est cinglé.
Le 13 mars, dernier jour du ghetto, était aussi un jour de sabbat. Amon Goeth arriva Plac Zgody, la place de la Paix, quelques instants avant le lever du jour. Les gros nuages qui filaient bas semblaient avoir effacé la frontière entre le jour et la nuit. Les hommes du Sonderkommando étaient déjà arrivés et s’étaient regroupés sur le petit parc du centre où ils étaient en train de fumer et de rire, pas trop fort cependant pour ne pas révéler leur présence aux habitants du ghetto dormant dans les immeubles proches de la pharmacie de Herr Pankiewicz. Les routes qu’ils avaient empruntées pour venir avaient été déblayées de la neige comme dans toute ville bien tenue. Il ne restait guère que quelques monticules bien tassés le long des murs et quelques plaques dans les caniveaux. On peut, sans grand risque de se tromper, penser que Goeth sentait vibrer en lui la fibre paternelle à la vue de ces jeunes gens, tous camarades, se tenant bien sagement au milieu de la place en attendant de passer à l’action.
Amon prit une lampée de cognac pour s’aider à attendre l’arrivée du Sturmbannführer Willi Haase qui, bien que n’ayant pas le contrôle tactique de l’Aktion, en avait néanmoins élaboré la stratégie. Aujourd’hui, on allait déblayer le ghetto A, de la Plac Zgody en poussant vers l’ouest. C’est là qu’habitaient tous les juifs aptes au travail, c’est-à-dire tous ceux qui avaient encore à la fois la santé et l’espoir. Le ghetto B, quelques pâtés de maisons situés à l’est du ghetto, ne contenait plus que les vieux et les derniers habitants sans emploi. Ceux-là, on s’en occuperait dans la soirée ou le lendemain. Ils étaient programmés pour le camp d’extermination d’Auschwitz, considérablement
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