La Loi des mâles
et s’assit au bord du lit. Il entretint
sa femme de choses sans intérêt évident ; il parlait des places dans la
cathédrale ; il se souciait du vêtement de ses filles…
Jeanne était déjà à demi endormie.
Elle luttait pour rester attentive ; elle discernait chez son mari une
tension des nerfs et une sorte d’angoisse montante contre laquelle il cherchait
protection.
— Mon ami, demanda-t-elle,
voulez-vous dormir auprès de moi ?
Il parut hésiter.
— Je ne puis ; le
chambellan n’est pas prévenu, répondit-il.
— Vous êtes roi, Philippe, dit
Jeanne en souriant ; vous pouvez donner à votre chambellan les ordres
qu’il vous plaît.
Il mit un temps à se décider. Ce
jeune homme qui savait, par les armes ou l’argent, mater ses plus puissants
vassaux, éprouvait de la gêne à informer ses serviteurs qu’il allait, par désir
imprévu, partager le lit de sa femme.
Enfin il appela une des chambrières
qui dormaient dans la pièce attenante et l’envoya prévenir Adam Héron qu’il
n’eût pas à l’attendre ni à coucher cette nuit en travers de sa porte.
Puis, entre les tentures à
perroquets, sous les trèfles d’argent du ciel de lit, il se dévêtit et se
glissa dans les draps. Et cette grande angoisse, dont ne pouvaient le défendre
toutes les troupes du connétable, car c’était angoisse d’homme et non angoisse
de roi, s’apaisa au contact de ce corps de femme, contre ces jambes fermes et
hautes, ce ventre docile et cette poitrine chaude.
— Ma mie, murmura Philippe dans
les cheveux de Jeanne, ma mie, réponds-moi, m’as-tu trompé ? Réponds sans
crainte, car même si tu m’as trahi naguère, sache-toi pardonnée.
Jeanne étreignit les longs flancs,
secs et robustes, où l’ossature était sensible sous ses doigts.
— Jamais, Philippe, je te le
jure, répondit-elle. J’ai été tentée de le faire, je te le confesse, mais je
n’ai point cédé.
— Merci, ma mie, chuchota
Philippe. Rien ne manque donc à ma royauté.
Il ne manquait plus rien à sa
royauté, parce qu’il était, en vérité, pareil à tous les hommes de son
royaume : il lui fallait une femme, et qu’elle fût bien à lui.
X
LES CLOCHES DE REIMS
Quelques heures plus tard, allongé
sur un lit de parade décoré des armes de France, Philippe, dans une longue robe
de velours vermeil et les mains jointes à hauteur de la poitrine, attendait les
évêques qui devaient le conduire à la cathédrale.
Le premier chambellan, Adam Héron,
lui aussi somptueusement habillé, se tenait debout auprès du lit. Le pâle matin
de janvier répandait dans la chambre une lueur laiteuse.
On frappa à la porte.
— Qui demandez-vous ? dit
le chambellan.
— Je demande le roi.
— Qui le veut ?
— Son frère.
Philippe et Adam Héron se
regardèrent, surpris et mécontents.
— Bon. Qu’il entre, dit
Philippe en se redressant légèrement.
— Vous disposez de bien peu de
temps, Sire… fit remarquer le chambellan.
Le roi l’assura que l’entretien ne
durerait guère.
Le beau Charles de La Marche portait
une tenue de voyage. Il venait d’arriver à Reims et ne s’était arrêté qu’un
instant au logis du comte de Valois. Il y avait du courroux sur son visage et
dans son pas.
Tout irrité qu’il fût, la vision de
son frère, revêtu de pourpre et ainsi étendu dans une pose hiératique, lui en
imposa ; il marqua un temps d’arrêt, les yeux arrondis.
« Comme il voudrait être à ma
place ! » pensa Philippe. Puis, à haute voix :
— Vous voici donc, mon bon
frère. Je vous sais gré d’avoir compris votre devoir et de faire mentir les
méchantes langues qui prétendaient que vous ne seriez pas à mon sacre. Je vous
sais gré. Maintenant, courez à vous vêtir, car vous ne pouvez paraître ainsi.
Vous allez être en retard.
— Mon frère, répondit La
Marche, il me faut d’abord vous entretenir de choses importantes.
— De choses importantes, ou de
choses qui vous importent ? L’important, pour l’heure, est de ne point
faire attendre le clergé. Dans un instant les évêques vont venir me prendre.
— Eh bien, ils
patienteront ! s’écria Charles. Chacun, à tour de rôle, trouve votre
oreille pour l’écouter et en tirer profit. Il n’est que moi dont vous semblez
ne point vouloir tenir compte ; cette fois vous m’entendrez !
— Alors causons, Charles, dit
Philippe en s’asseyant au bord du lit. Mais je vous avertis que nous aurons
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