La Loi des mâles
panique.
Depuis une heure, le consul Varay et
trois de ses collèges, venus pour exiger des explications au nom du
« syndical » de la ville, piétinaient dans l’antichambre du comte de
Poitiers.
Celui-ci siégeait à huis clos avec
les membres de son entourage et les grands officiers qui faisaient partie de sa
mission.
Enfin les tentures s’écartèrent et
le comte de Poitiers parut, suivi de ses conseillers. Tous avaient la mine
grave.
— Ah messire Varay, vous vous
trouvez bien, et vous tous, messires consuls, dit le comte de Poitiers. Nous
allons pouvoir vous remettre céans le message que nous nous apprêtions à vous
faire tenir. Messire Miles, veuillez lire.
Miles de Noyers, qui avait été
conseiller au Parlement et maréchal de l’ost sous Philippe le Bel, déploya un
parchemin et lut :
« À tous les baillis,
sénéchaux et conseils des bonnes villes. Nous vous faisons savoir la grande
déploration que nous avons de la mort de notre frère bien-aimé le roi notre
Sire Louis Dixième, que Dieu vient d’enlever à l’affection de ses sujets. Mais
la nature humaine est faite ainsi que nul ne peut dépasser le terme qui lui est
assigné. Aussi avons-nous décidé de sécher nos larmes, de prier avec vous le Christ
pour son âme, et de nous montrer empressé au gouvernement du royaume de France
et du royaume de Navarre afin que leurs droits ne dépérissent pas et que les
sujets de ces deux royaumes vivent heureux sous le bouclier de la justice et de
la paix.
Le régent des deux royaumes, par
la grâce de Dieu. »
PHILIPPE.
Le premier émoi passé, messire Varay
vint aussitôt baiser la main du comte de Poitiers, et les autres consuls
l’imitèrent sans hésitation.
Le roi était mort. La nouvelle en
soi était assez stupéfiante pour que nul ne songeât, au moins pour quelques
minutes, à se poser de questions. En l’absence d’un héritier majeur, il
semblait parfaitement normal que le plus âgé des frères du souverain assurât le
pouvoir. Les consuls ne doutèrent pas un instant que la décision n’eût été
prise à Paris par la Chambre des Pairs.
— Veuillez faire crier ce
message par la ville, ordonna Philippe de Poitiers, après quoi les portes
seront aussitôt ouvertes.
Puis il ajouta.
— Messire Varay, vous êtes
puissant au négoce des draps, je vous saurais gré de me fournir de vingt
manteaux noirs, à déposer dans mon antichambre, pour en couvrir les gens qui
viendront me présenter leur douloir.
Et il congédia les consuls.
Les deux premiers actes de sa prise
de pouvoir se trouvaient accomplis. Il s’était fait proclamer régent par son
entourage, qui devenait du même coup son Conseil de gouvernement. Il allait
être reconnu par la ville de Lyon où il résidait. Il avait hâte maintenant
d’étendre cette reconnaissance à l’ensemble du royaume et de placer Paris
devant un état de fait. Le succès résidait dans la vitesse.
Déjà les copistes reproduisaient à
multiples exemplaires la proclamation, et les chevaucheurs sellaient leurs
chevaux pour aller la répandre dans toutes les provinces.
Aussitôt les portes de Lyon
rouvertes, ces chevaucheurs s’élancèrent, se croisant avec trois courriers
retenus depuis le matin en deçà de la Saône. L’un des courriers acheminait une
lettre du comte de Valois, par laquelle ce dernier se posait en régent désigné
et demandait à Philippe une ratification de bonne forme afin que la désignation
devînt effective. « Je suis assuré que vous voudrez aider à ma tâche, pour
le bien du royaume, et me donnerez au plus tôt votre agrément, en bon et
bien-aimé neveu comme vous l’êtes ».
Le second message venait du duc de
Bourgogne, qui réclamait aussi la régence au nom de sa nièce, la petite Jeanne
de Navarre.
Enfin le comte d’Évreux avertissait
Philippe de Poitiers que les pairs n’avaient pas été réunis selon les us et
coutumes et que la hâte de Charles de Valois à se saisir du gouvernement ne
s’appuyait sur aucun texte ni aucune assemblée régulière.
Le comte de Poitiers, au reçu de ces
nouvelles, se remit à siéger avec son entourage. Dans ce Conseil ne figuraient
pratiquement que des hommes hostiles à la politique suivie depuis dix-huit mois
par le Hutin et le comte de Valois. Philippe de Poitiers, connaissant leur
mérite et leurs capacités, avait choisi de se les adjoindre dans les difficiles
négociations qu’il devait mener avec l’Église. Tel était
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