La Loi des mâles
spirituels ?
Permettons-leur plutôt de se racheter ; or, qui dit rachat dit paiement.
Le vieux prélat était parfaitement
sérieux. Son imagination, au cours de ses dernières nuits de veille, avait
échafaudé tout un système fort précis, sur lequel il préparait un mémoire et
qu’il soumettrait, disait-il modestement, au prochain pape.
Il s’agissait de l’institution d’une
Sainte Pénitencerie, sorte de chancellerie du péché qui délivrerait les bulles
d’absolution moyennant des taxes d’enregistrement perçues au profit du
Saint-Siège. Les prêtres estropiés pourraient obtenir quittance à raison de
quelques livres par doigt manquant, le double pour un œil perdu, autant pour
l’absence d’une ou deux génitoires. Celui qui se serait amputé lui-même de sa
virilité devrait payer un prix plus fort. Des malfaçons ou accidents physiques,
Duèze passait aux irrégularités morales. Les bâtards qui avaient caché leur
situation de naissance en recevant les ordres, les clercs qui avaient pris la
tonsure bien qu’étant mariés, ceux qui se mariaient secrètement après
l’ordination, ceux qui vivaient non mariés en ménage de femme, ceux qui étaient
bigames, ou incestueux, ou sodomites, tous étaient imposés proportionnellement
à leur faute. Les nonnes qui auraient paillardé avec plusieurs hommes au-dedans
comme au-dehors de leur couvent seraient soumises à une réhabilitation
particulièrement coûteuse [6] .
— Si l’institution de cette
Pénitencerie, déclara Duèze, ne fait pas rentrer deux cent mille livres la
première année, je veux bien…
Il allait dire « je veux bien
être brûlé » mais s’arrêta à temps.
Poitiers pensait « Au moins,
s’il est élu, je n’aurai pas de souci pour les finances papales. »
Mais, malgré toutes les manœuvres de
Duèze et malgré l’appui que Poitiers leur donnait, le conclave continuait à
marquer le pas.
Or, les nouvelles de Paris étaient
mauvaises. Gaucher de Châtillon, faisant front avec le comte d’Évreux et Mahaut
d’Artois, s’efforçait de limiter les ambitions de Charles de Valois. Celui-ci
néanmoins habitait au palais de la Cité, où il gardait la reine Clémence sous
sa tutelle, il administrait les affaires à sa guise, et expédiait dans les
provinces des instructions contraires à celles que Poitiers envoyait de Lyon.
D’autre part, le duc de Bourgogne, soutenu par les vassaux de son immense
duché, était arrivé à Paris le 16 juin, onze jours après la mort de
Louis X, pour y faire reconnaître ses droits. La France avait donc trois
régents. Cette situation ne pouvait durer longtemps, et Gaucher engageait
instamment Philippe à regagner Paris.
Le 27 juin, après un conseil
restreint auquel assistèrent les comtes de Forez et de la Voulte, le jeune
prince décida de se mettre en route, et commanda de rassembler le train de
bagages de son escorte. En même temps, s’avisant qu’aucun service solennel
n’avait encore été célébré pour le repos de l’âme de son frère, il ordonna que
de grandes messes fussent dites le lendemain, avant son départ, en chaque
paroisse de la ville. Tous les gens de haut et de bas clergé étaient tenus d’y
assister, pour s’associer aux prières du régent. Les cardinaux, surtout les
cardinaux italiens, exultaient ; Philippe de Poitiers quittait Lyon sans
les avoir fléchis.
— Il déguise sa fuite sous les
pompes du deuil, disait Caëtani, mais il s’en va quand même, ce maudit !
Avant un mois, je vous l’affirme, nous serons de retour à Rome.
V
LES PORTES DU CONCLAVE
Les cardinaux sont personnages
d’importance et qui ne sauraient être confondus avec le menu fretin du clergé.
Le comte de Poitiers leur fit réserver, pour le service funèbre à la mémoire de
Louis X, l’église du couvent des Frères Prêcheurs, dit église des
Jacobins, la plus belle, la plus vaste, après la primatiale Saint-Jean, et
aussi la mieux fortifiée [7] .
Les cardinaux ne virent dans ce choix qu’un convenable hommage rendu à leur
dignité. Aucun ne manqua la cérémonie.
Bien qu’ils ne fussent que
vingt-quatre l’église était pleine, car chaque cardinal avait voulu arriver
pompeusement escorté de toute sa maison, chapelain, secrétaire, trésorier,
clercs, damoiseaux, valets, porteurs de traîne et de flambeaux ; une foule
d’un demi-millier de personnes, au total, se tenait entre les lourds piliers
blancs.
Rarement messe funéraire fut
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