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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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devinent qu’il peut naître entre eux une
collaboration et une amitié, cet instant-là dépend plus des conjonctions
mystérieuses du destin que des paroles échangées.
    Au moment où Philippe s’inclinait
pour baiser l’anneau du cardinal, celui-ci murmura :
    — Vous feriez, Monseigneur, un
parfait régent.
    Philippe se releva. « Savait-il
donc que, pendant tout ce temps, je ne songeais qu’à cela ? »
pensa-t-il. Et il répondit :
    — Ne feriez-vous pas vous-même,
Monseigneur, un pape excellent ?
    Et ils ne purent s’empêcher de
sourire discrètement, le vieillard avec une sorte d’affection paternelle, le
jeune homme avec une amicale déférence.
    — Je vous saurais gré, ajouta
Philippe, de conserver secrète la grave nouvelle que vous m’avez apportée,
jusqu’à ce qu’elle ait été publiquement confirmée.
    — Ainsi agirai-je, Monseigneur,
pour vous servir.
    Resté seul, le comte de Poitiers ne
prit que quelques secondes de réflexion. Il appela son chambellan.
    — Adam Héron, aucun chevaucheur
n’est arrivé de Paris ? demanda-t-il.
    — Non, Monseigneur.
    — Alors, faites clore toutes
les portes de Lyon.
     

IV

« SÉCHONS NOS LARMES »
    Ce matin-là, la population lyonnaise
fut privée de légumes. Les charrois des maraîchers avaient été retenus hors des
murs, et les ménagères clabaudaient devant les marchés vides. Le pont qui franchissait
la Saône était barré par la troupe. Si l’on ne pouvait pas entrer dans Lyon, on
ne pouvait non plus en sortir. Marchands italiens, voyageurs, moines ambulants,
renforcés par les badauds et les désœuvrés, s’aggloméraient autour des portes
et réclamaient des explications. La garde, invariablement, répondait à toute
demande « Ordre du comte de Poitiers ! » avec cet air distant,
important, que prennent les agents de l’autorité lorsqu’ils ont à appliquer une
mesure dont ils ignorent eux-mêmes la raison.
    — Mais j’ai ma fille malade à
Fourvière…
    — Ma grange de Saint-Just a
brûlé hier à la vesprée…
    — Le bailli de Villefranche va
me faire saisir si je ne lui porte point mes tailles ce jourd’hui !
criaient les gens.
    — Ordre du comte de
Poitiers !
    Et quand la presse devenait un peu
forte, les sergents royaux commençaient à lever leurs masses. En ville
circulaient d’étranges rumeurs. Les uns assuraient qu’il allait y avoir la
guerre. Mais avec qui ? Nul ne pouvait le dire. D’autres affirmaient
qu’une émeute sanglante s’était produite pendant la nuit, près du couvent des
Augustins, entre les hommes du roi et les gens des cardinaux italiens. On avait
entendu passer des chevaux. On citait même le nombre des morts. Mais du côté
des Augustins, tout était calme.
    L’archevêque, Pierre de Savoie,
était très inquiet, se demandant quel coup de foudre s’apprêtait, pour le
contraindre probablement d’abandonner, au profit de l’archevêque de Sens, le
primatiat des Gaules, seule prérogative qu’il ait pu conserver lors du rattachement
de Lyon à la couronne en 1312 [5] .
Il avait envoyé l’un de ses chanoines aux nouvelles, mais le chanoine s’était
heurté, chez le comte de Poitiers, à un écuyer très courtois et muet. Et
l’archevêque s’attendait à recevoir un ultimatum. Chez les cardinaux, logés
dans les divers établissements religieux, l’angoisse n’était pas moindre et
tournait même à l’affolement. Ils gardaient en mémoire l’affaire de Carpentras.
Mais, cette fois, comment fuir ? Des émissaires couraient des Augustins
aux Cordeliers et des Jacobins aux Chartreux. Le cardinal Caëtani avait dépêché
son homme à tout faire, l’abbé Pierre, chez Napoléon Orsini, chez Alberti de
Prato, chez Flisco, le seul Espagnol, afin de dire à ces prélats :
    — Voyez ! Vous vous êtes
laissé séduire par le comte de Poitiers. Il nous avait juré de ne point nous
molester, et que nous n’aurions même pas à entrer en clôture pour voter, que
nous serions tout à fait libres. Et maintenait il nous enferme dans Lyon.
    Duèze lui-même reçut la visite de
deux de ses collègues provençaux, le cardinal de Mandagout et Bérenger Frédol
l’aîné. Mais Duèze feignit de sortir de ses travaux savants et de n’être au
courant de rien. Pendant ce temps, dans une cellule proche de son appartement,
Guccio Baglioni dormait comme une pierre, hors d’état de songer seulement qu’il
pouvait être à l’origine d’une pareille

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