La Loi des mâles
s’étaient armés de lourds chandeliers de bronze, de bancs et de
bâtons de procession, décidés à vendre chèrement leur existence, tandis qu’autour
du baptistère, quelques cardinaux des divers partis se prenaient de bec.
— Colpa vostra, colpa vostra C’est votre faute, c’est votre faute, criait un italien désignant les Français.
Si vous aviez refusé comme nous de venir à Lyon ! Nous savions bien qu’il
nous y serait fait un mauvais coup.
— Si vous aviez élu l’un des
nôtres, nous ne serions pas là à cette heure, répliquait un Gascon. La faute
est à vous, mauvais chrétiens !
Une seule porte n’était pas
entièrement murée, on y avait laissé un passage pour un homme. Mais cette
étroite ouverture se hérissait d’un buisson de piques tenues par des gantelets
de fer. Les piques se relevèrent, et le comte de Forez, en armure, suivi de
Bermond de la Voulte et de quelques autres cuirasses, pénétra dans l’église.
Une explosion d’injures l’accueillit.
Les bras croisés sur la garde de son
épée, le comte de Forez attendit que l’agitation se fût calmée. C’était un
homme puissant, courageux, insensible aux menaces comme aux supplications.
L’exemple de désunion, de vénalité, d’intrigue, que les cardinaux donnaient
depuis deux ans le heurtait profondément, et il approuvait pleinement le comte
de Poitiers de vouloir mettre terme à ce scandale. Son rude visage creusé de
rides apparaissait par l’ouverture du heaume.
Quand les cardinaux et leurs gens se
furent bien égosillés, sa voix s’éleva, nette, martelée, se propageant
par-dessus les têtes jusqu’au fond de la nef.
— Messeigneurs, je suis ici
d’ordre du régent de France, pour vous notifier de bien vouloir désormais vous adonner
uniquement à l’élection d’un pape, et de même vous faire connaître que vous ne
sortirez pas avant que ce pape soit élu. Chacun des cardinaux ne gardera auprès
de lui qu’un chapelain et deux damoiseaux ou clercs de son choix, pour son
service. Tous autres se peuvent retirer.
Cette proclamation souleva une
indignation unanime.
— C’est félonie ! s’écria
le cardinal de Pélagrue. Le comte de Poitiers nous avait fait serment que nous
n’aurions même pas à entrer en clôture et c’est à ce prix que nous avons
accepté de le rejoindre à Lyon.
— Le comte de Poitiers,
répondit Jean de Forez, engageait alors la parole du roi de France. Mais le roi
de France n’est plus, et c’est la parole du régent qu’aujourd’hui je vous
porte.
La fureur, à présent, unissait les
représentants des trois partis dont les invectives se mêlaient, en provençal,
en italien et en français. Le cardinal Duèze s’était effondré dans un
confessionnal, la main sur le cœur, comme si son vieil âge ne pouvait supporter
un tel coup, et il feignait de s’associer aux protestations par des murmures
inaudibles. Le cardinal d’Albano, Arnaud d’Auch, celui-là même qui était venu
naguère à Paris prononcer la condamnation des Templiers, s’avança vers le comte
de Forez et lui déclara d’un ton menaçant :
— Messire, un pape ne se peut
élire en de telles conditions, car vous violez la constitution de
Grégoire X qui oblige le conclave à se réunir en ville où le pape est
mort.
— Vous vous y trouviez,
Monseigneur, voici deux ans, et vous êtes égaillés sans avoir élu de pape, ce
qui contrevenait à la constitution. Mais si vous souhaitez d’aventure être
reconduits à Carpentras, nous vous y ferons mener sous bonne escorte, en chars
fermés.
— Nous ne devons point siéger
sous menace de la force !
— C’est pourquoi sept cents hommes
d’armes, Monseigneur, sont dehors, à votre garde, fournis par les autorités de
la ville afin d’assurer votre protection et votre isolement ainsi qu’il est
prescrit par la constitution. Le sire de La Voulte, que voici, et qui est de
Lyon, est chargé d’y veiller. Messire le régent vous fait savoir également que
si, au troisième jour, vous n’êtes pas parvenus à vous mettre d’accord, vous ne
recevrez à manger qu’un seul plat de la journée et, à partir du neuvième,
n’aurez plus que le pain et l’eau comme cela est dit également dans la
constitution de Grégoire. Et qu’enfin, si la lumière ne vous vient point par le
jeûne, il fera détruire la toiture, pour vous mettre mieux à même de la
recevoir du Ciel.
Bérenger Frédol l’aîné intervint.
— Messire,
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