La Loi des mâles
chambre de sa sœur. Le jeune homme
tenait une chandelle qui fumait, il s’était lavé la barbe et portait sa
meilleure cotte de cheval.
— Lève-toi, Marie, dit-il. Tu
pars ce matin. Pierre et moi, nous allons te conduire.
La jeune fille se dressa sur son
lit.
— Partir… Comment cela ?
C’est ce matin que je dois partir ?
L’esprit embrumé de sommeil, elle
regardait son frère, de ses grands yeux bleu sombre, fixement, sans comprendre.
Machinalement, elle ramena par-dessus son épaule ses longs cheveux épais et
soyeux ou passaient des reflets dorés.
Jean de Cressay contemplait sans
plaisir la beauté de sa sœur, comme si cette beauté eût été l’image même du
péché.
— Fais un paquet de tes hardes,
car tu ne reviendras pas ici de sitôt.
— Mais où me
conduisez-vous ? demanda Marie.
— Tu le verras.
— Mais hier ? Pourquoi ne
m’en avoir rien dit hier ?
— Pour te donner le temps de
nous jouer encore un tour de ta façon ? Allons, hâte-toi, je veux être en
chemin avant que nos serfs nous voient. Tu nous as couverts d’assez de honte,
point n’est besoin qu’ils jasent davantage.
Marie ne répondit pas. Depuis un
mois, sa famille ne la traitait pas d’autre manière, ni ne s’adressait à elle
sur un autre ton. Elle se leva, un peu alourdie par sa grossesse dont le poids,
si modéré qu’il fût encore, la surprenait toujours au saut du lit. À la lueur
de la chandelle laissée par Jean, elle se prépara, se passa de l’eau sur le
visage et la poitrine, noua rapidement ses cheveux, elle s’aperçut que ses
mains tremblaient. Où l’emmenait-on ? Dans quel couvent ? Elle mit à
son cou le reliquaire d’or que Guccio lui avait donné et qui venait, lui
avait-il dit, de la reine Clémence. « Jusqu’à ce jour, ces reliques m’ont
bien peu protégée, pensa-t-elle. Les ai-je mal priées ? » Elle plia
ensemble une robe de dessus, quelques robes de dessous, un surcot et des toiles
pour se laver.
— Tu te couvriras de ta cape à
grand chaperon, lui lança Jean qui rentra un instant dans la chambre.
— Mais je vais périr de
chaleur ! dit Marie. C’est une vêture d’hiver.
— Notre mère veut que tu
chemines le visage caché. Obéis et hâte-toi.
Dans la cour, le second frère,
Pierre, sellait lui-même les deux chevaux.
Marie savait bien que ce jour devait
arriver ; dans un sens, quelque angoisse qu’elle eût au cœur, elle ne
souffrait pas tellement, elle en était presque à souhaiter ce départ. La
tristesse d’un couvent lui paraissait chose plus supportable que les griefs et
les reproches journellement ressassés. Au moins y serait-elle seule avec son
malheur. Elle n’aurait plus à subir les fureurs de sa mère, alitée depuis que
le drame avait éclaté, et qui maudissait sa fille chaque fois que celle-ci lui
portait une tisane. La grosse châtelaine était alors prise d’étouffements, et
l’on devait appeler d’urgence le barbier de Neauphle pour qu’il lui tirât une
pinte de sang noir. Cela faisait six fois en moins de deux semaines que l’on
saignait dame Eliabel, et il ne paraissait pas que ce traitement accélérât son
retour à la santé.
Marie était traitée par ses deux
frères, par Jean surtout, comme une criminelle. Ah ! certes ! plutôt
le cloître, mille fois. Mais au fond d’une clôture pourrait-elle jamais avoir
des nouvelles de Guccio ? C’était là son obsession, sa véritable crainte
du sort qui l’attendait. Ses méchants frères lui affirmaient que Guccio avait
fui à l’étranger.
« Ils ne veulent point me
l’avouer, se disait-elle, mais ils l’ont fait mettre en cachot. Il n’est pas
possible qu’il m’ait abandonnée ! Ou bien alors, il est revenu dans le
pays, pour me sauver, et c’est pourquoi mes frères mettent tant de hâte à
m’emmener, et après cela, ils vont le tuer. Ah ! que ne me suis-je pas
sauvée avec lui ! »
Son imagination lui représentait
toutes les formes possibles de catastrophes. Elle en venait par instants à
souhaiter que Guccio se fût réellement enfui, la laissant à son mauvais sort.
Privée d’aucun conseil et même d’aucune compassion, elle n’avait d’autre
compagnie que celle de son enfant à naître, or cette existence-là ne lui était
que de petit secours, sinon pour le courage qu’elle lui inspirait.
À l’instant de partir, Marie de
Cressay demanda si elle pouvait dire adieu à sa mère. Pierre entra dans la
chambre de dame
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