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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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c’est vous charger
d’homicide que nous soumettre à un tel traitement, car il en est parmi nous qui
ne le sauront supporter… Voyez Monseigneur Duèze déjà tout écroulé et qui
aurait besoin de soins.
    — Ah ! certes, ah !
certes, dit faiblement Duèze, je ne le pourrai supporter.
    — Nous voyons bien que nous
avons affaire à des bêtes puantes et féroces, cria Caëtani, mais sachez,
messire, qu’au lieu de faire un pape, nous allons vous excommunier, vous et
votre parjure.
    — Si vous tenez séance
d’excommunication, Monseigneur Caëtani, répondit calmement le comte de Forez,
le régent pourrait alors fournir au conclave le nom de certains envoûteurs et
sorciers qu’il conviendrait de placer en tête de fournée.
    — Je ne vois point, dit Caëtani
battant aussitôt en retraite, je ne vois point ce que la sorcellerie vient
faire en ceci, puisque c’est du pape que nous devons nous occuper.
    — Eh ! Monseigneur, nous
nous entendons bien ; veuillez donc renvoyer les gens qui vous sont
inutiles, car il ne saurait y avoir assez de vivres pour en nourrir autant.
    Les cardinaux comprirent que toute
résistance serait vaine et que cette cuirasse, qui leur transmettait d’une voix
tranchante les ordres du comte de Poitiers, ne fléchirait pas. Déjà, derrière
Jean de Forez, les hommes d’armes commençaient à entrer un par un, pique en
main, et à se déployer dans le fond de l’église.
    — Nous jouerons de ruse si nous
ne pouvons jouer de force, dit à mi-voix Caëtani aux Italiens. Feignons de nous
soumettre, puisque pour l’heure nous ne pouvons rien d’autre.
    Chacun choisit dans sa suite ses
trois meilleurs serviteurs, ceux qu’il pensait les plus fidèles, ou les plus
habiles, ou les plus aptes à lui apporter service de corps dans les difficiles
conditions matérielles où tous allaient se trouver. Caëtani garda auprès de lui
le clerc Andrieu, le frère Bost et le prêtre Pierre, c’est-à-dire les hommes
qui avaient trempé dans l’envoûtement de Louis X ; il préférait les
voir enfermés avec lui que risquant de parler pour argent ou sous la torture.
Les Colonna retinrent à leurs côtés quatre damoiseaux qui avaient des poings
d’assommeurs de bœufs.
    Porte-torches, porte-traînes, clercs
et chanoines qui n’étaient pas désignés sortaient, un par un, devant la haie
des hommes d’armes. Leurs maîtres, au passage, leur soufflaient des recommandations :
    — Faites avertir mon frère
l’évêque… Écrivez en mon nom à mon cousin… Partez sur-le-champ pour Rome…
    Au moment où Guccio Baglioni se
disposait à prendre la file des sortants, Jacques Duèze étendit sa maigre main
hors du confessionnal où il gisait effondré, et saisit le jeune Italien par la
cotte, en murmurant :
    — Restez, petit, restez auprès
de moi. Je suis sûr que vous me serez secourable.
    Duèze savait que les puissances
d’argent ne sont, en aucune circonstance, négligeables, et il pensait avoir
intérêt à conserver auprès de lui un représentant des banques lombardes.
    Une heure plus tard, il ne demeurait
dans l’église des Jacobins que quatre-vingt-seize hommes, destinés à y rester
aussi longtemps que vingt-quatre d’entre eux ne se seraient mis d’accord pour
en choisir un seul. Les gens d’armes, avant de se retirer, jetèrent des
brassées de paille pour former la couche, à même la pierre, des plus hauts
prélats de ce monde, et ils apportèrent quelques bassins ainsi que de grandes
jarres pleines d’eau. Puis les maçons, sous l’œil du comte de Forez, achevèrent
de murer la dernière issue, ne laissant d’autre ouverture qu’une petite baie
carrée, une lucarne suffisante pour le passage des plats, insuffisante pour le
passage d’un homme. Tout autour de l’église les soldats avaient repris leur
faction, disposés de trois toises en trois toises, sur deux rangs, un rang
adossé au mur et regardant vers la ville, un rang tourné vers l’église et
regardant les vitraux.
    Vers midi, le comte de Poitiers se
mit en route pour Paris. Il emmenait dans sa suite le dauphin de Viennois et le
petit dauphiniet, lequel vivrait désormais à la cour de France afin de s’y
familiariser avec sa fiancée de cinq ans.
    À cette heure-là, les cardinaux
reçurent leur premier repas ; comme c’était jour maigre, ils n’eurent pas
de viande.
     

VI

DE NEAUPHLE À SAINT-MARCEL
    Un matin du début de juillet, bien
avant l’aube, Jean de Cressay entra dans la

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