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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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suivie
avec si peu de recueillement. Pour la première fois depuis bien des mois les
cardinaux, qui vivaient par coteries en des résidences séparées, se
retrouvaient tous ensemble. Certains ne s’étaient pas rencontrés depuis près de
deux ans. Ils s’observaient les uns les autres, s’étudiaient, s’épiaient.
    — Avez-vous vu ?
chuchotait-on. Orsini vient de saluer Frédol le cadet… Stefaneschi s’est
entretenu tout un moment avec Mandagout ; se rapprocherait-il des
Provençaux ?… Oh ! Duèze a bien petite mine ; le voilà fort
envieilli…
    En effet, Jacques Duèze, dont la
légère et sautillante démarche surprenait habituellement chez un homme d’un tel
âge, avançait ce jour-là d’un pas lent, traînant, et répondait vaguement aux
saluts, d’un air de lassitude et d’épuisement.
    Guccio Baglioni, en tenue de
damoiseau, faisait partie de sa suite. Il était censé ne parler qu’italien et
venir directement de Sienne.
    « Peut-être aurais-je mieux
fait, se disait Guccio, de m’aller placer sous la protection du comte de
Poitiers. Car aujourd’hui sans doute je repartirais avec lui pour Paris, et je
pourrais m’enquérir de Marie dont je suis sans nouvelles depuis tant de jours.
Tandis que me voici dépendre en tout de ce vieux renard, à qui j’ai promis que
mon oncle lui consentirait un prêt, et qui ne fera rien pour mon sort avant que
l’argent ne soit arrivé. Or mon oncle ne me répond pas. Et l’on dit que Paris
est tout bouleversé… Marie, Marie, ma belle Marie !… Ne va-t-elle pas se
croire abandonnée de moi ? Peut-être me hait-elle à présent ? Qu’en ont-ils
fait ? »
    Il imaginait Marie séquestrée par
ses frères, à Cressay, ou dans quelque couvent pour filles repenties. « Si
une semaine s’écoule encore ainsi, je m’enfuirai à Paris. »
    Ayant gagné sa place, dans les
stalles du chœur, Duèze, tassé sur lui-même, surveillait discrètement ses
voisins et parfois tournait un visage accablé vers le fond de l’église. À deux
stalles de Duèze, Francesco Caëtani, la face maigre tranchée d’un long nez
busqué, et les cheveux s’envolant comme des flammes blanches autour de sa
calotte rouge, ne cachait pas sa joie ; et ses regards, qui allaient du
catafalque aux gens de sa suite, étaient des regards de victoire. « Voici,
Messeigneurs, paraissait-il dire à la ronde, ce qui survient quand on s’attire
la colère des Caëtani, qui étaient déjà puissants du temps de Jules César. Le
Ciel veille à nous venger. »
    Les Colonna, au lourd menton rond
partagé d’une fossette verticale, et semblables à deux guerriers déguisés en
prélats, le toisaient avec une hostilité manifeste.
    Dans l’ordonnance de la cérémonie,
le comte de Poitiers n’avait pas lésiné sur le nombre des chantres. Ils étaient
une bonne centaine soutenus par les orgues dont quatre hommes maniaient à
pleins bras les soufflets. Une musique tonnante, royale, roulait sous les voûtes,
saturait l’air de vibrations, enveloppait la foule. Les petits clercs pouvaient
impunément bavarder entre eux, et les damoiseaux ricaner en se moquant de leurs
maîtres. Il était impossible d’entendre ce qui se disait à trois pas, et moins
encore ce qui se passait aux portes.
    Le service s’acheva ; les
orgues et les chantres se turent ; les vantaux du grand portail
s’ouvrirent. Mais aucune lumière ne pénétra dans l’église.
    Il y eut un instant de saisissement,
comme si quelque miracle avait, pendant la cérémonie, obscurci le soleil ;
et puis les cardinaux comprirent, et des clameurs furieuses s’élevèrent. Un mur
tout frais bouchait le portail ; le comte de Poitiers avait fait, pendant
la messe, maçonner les issues. Les cardinaux étaient prisonniers.
    Un mouvement panique brassa
l’assistance ; prélats, chanoines, prêtres, valets, toute dignité ou
révérence oubliées, se mêlèrent, se bousculèrent, coururent et refluèrent comme
rats pris en nasse. Des damoiseaux, grimpant sur les épaules les uns des autres,
s’étaient hissés aux vitraux et annonçaient :
    — L’église est cernée par des
hommes d’armes !
    Les cardinaux criaient.
    — Qu’allons-nous faire ?
Le régent nous a joués.
    — Voilà pourquoi il nous
gratifiait de si forte musique !
    — C’est atteinte portée à
l’Église.
    — Il faut l’excommunier.
    — Il est bien temps ! On
va nous massacrer.
    Déjà, les deux Colonna et les gens
de leur parti

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