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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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régent, qui n’y voit guère, et le connétable
qui s’y connaît mieux en chevaux qu’en nouveau-nés.
    — La comtesse d’Artois ne
va-t-elle point s’étonner qu’il n’ait plus la trace des fers ?
    — Sous le bonnet et la
couronne, comment le verrait-elle ?
    — Et le jour ne luit guère, de
surcroît. Il va presque falloir allumer les cierges, ajouta Bouville en
désignant la fenêtre et la triste lumière de novembre.
    Marie ne fit pas davantage de
résistance. Au fond, l’idée de cette substitution l’honorait assez et elle ne
prêtait à Bouville que de bons desseins. Elle prit plaisir à habiller son
enfant en roi, à le langer de soie, à lui passer le manteau bleu semé de fleurs
de lis d’or et à le coiffer du bonnet sur lequel était cousue une minuscule
couronne, tous objets du trousseau préparé avant la naissance.
    — Qu’il va être beau, mon
Jeannot ! disait Marie. Une couronne, Seigneur ! Une couronne !
Il faudra la rendre à ton roi, tu sais, il faudra la lui rendre.
    Elle agitait son enfant comme une poupée
devant le berceau de Jean I er .
    — Voyez, Sire, voyez votre
frère de lait, votre petit serviteur qui va prendre votre place pour que vous
n’attrapiez pas froid.
    Et elle songeait : « Quand
je raconterai tout cela bientôt à Guccio… Quand je lui dirai que son fils a été
présenté aux barons… L’étrange vie que nous avons, et que je ne changerais pour
nulle autre ! Comme j’ai bien fait de l’aimer, mon Lombard ! »
    Sa voix fut coupée par un long
gémissement venu de la pièce voisine.
    « La reine, mon Dieu… pensa Marie.
J’oubliais la reine. »
    Un écuyer entra, annonçant
l’approche du régent et des barons. Madame de Bouville se saisit de l’enfant de
Marie.
    — Je le porte dans la chambre
du roi, dit-elle, et l’y remettrai après la cérémonie, jusqu’au départ de la
cour. Vous, Marie, ne bougez point d’ici avant que je revienne, et si quiconque
pénétrait, malgré la garde que nous allons mettre, affirmez bien que cet enfant
que vous avez avec vous est le vôtre.
     

IV

« MES SIRES, VOYEZ LE ROI »
    Les barons avaient peine à tenir tous
dans la grand-salle ; ils parlaient, toussaient, remuaient les pieds et
commençaient à s’impatienter d’une longue station debout. Les escortes avaient
envahi les couloirs pour profiter du spectacle ; des grappes de têtes
s’aggloméraient aux issues.
    Le sénéchal de Joinville, qu’on
n’avait fait lever qu’à la dernière minute afin de ménager ses forces, se
tenait à la porte de la chambre du roi, en compagnie de Bouville.
    — C’est vous qui annoncerez,
messire sénéchal, dit celui-ci. Vous êtes le plus ancien compagnon de Saint
Louis ; c’est à vous que revient l’honneur.
    Malade d’anxiété, la face
ruisselante, Bouville pensait :
    « Moi, je ne pourrais pas… je
ne pourrais pas faire l’annonce. Ma voix me trahirait. »
    Il vit apparaître, au bout du
couloir ombreux, la comtesse Mahaut, gigantesque, grandie encore par sa
couronne et son lourd manteau d’apparat. Jamais Mahaut d’Artois ne lui avait
semblé si haute, si terrifiante.
    Il se jeta dans la chambre et dit à
sa femme :
    — Voici le moment.
    Madame de Bouville se porta
au-devant de la comtesse, dont le pas solide sonnait sur les dalles, et lui
remit le léger fardeau.
    Le lieu était sombre ; Mahaut
ne regarda pas l’enfant de bien près. Elle trouva simplement qu’il avait pris
du poids depuis le jour de son baptême.
    — Eh ! notre petit roi
profite, dit-elle. Je vous en complimente, ma mie.
    — C’est que nous le veillons
fort, Madame ; nous ne voulons point encourir les reproches de sa
marraine, répondit madame de Bouville de sa meilleure voix.
    « Assurément il était temps, pensa
Mahaut ; il se porte trop bien. » La lumière qui tombait d’une
embrasure lui montra le visage de l’ancien chambellan.
    — Qu’avez-vous à suer si fort,
messire Hugues ? dit-elle. Ce n’est pourtant point jour de chaleur.
    — Ce sont ces feux que j’ai
fait allumer… Messire le régent ne m’a guère donné de temps pour tout préparer.
    Ils s’affrontèrent du regard, chacun
connaissant là un désagréable instant.
    — Marchons donc, dit Mahaut, et
faites-moi le chemin.
    Bouville offrit son bras au vieux
sénéchal, et les deux curateurs se dirigèrent, lentement, vers la grand-salle.
Mahaut les suivait à quelques pas. C’était le moment favorable entre

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