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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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rassurantes :
    — Apaisez-vous, apaisez-vous !
L’autre jour aussi nous avons cru qu’il allait passer ; et puis, vous
voyez, il est bien revenu. C’est mal d’enfant qui fait peur à voir mais qui ne
dure point. La ventrière ! Qu’on aille quérir la ventrière, ajouta-t-elle
prenant tous les risques pour prouver sa bonne foi.
    Le régent tenait ses mains souillées
écartées du corps ; il les regardait avec crainte et dégoût, et n’osait
plus toucher à rien.
    Le bébé était bleuâtre et
suffoquait.
    Dans le désordre et l’affolement qui
suivirent, personne ne sut très bien ce qu’il faisait, ni comment les choses
s’étaient passées. Madame de Bouville s’élança vers la chambre de la reine,
mais presque arrivée s’arrêta brusquement en pensant : « Si j’appelle
la ventrière, elle verra bien, elle, que l’enfant a été changé, et qu’il n’a
pas la marque des fers. Surtout, surtout, qu’on ne lui ôte pas le
bonnet ! » Elle revint en courant, tandis que l’assistance refluait
déjà vers la chambre du roi.
    Le service d’aucune ventrière
n’était plus nécessaire à l’enfant. Toujours enveloppé du manteau fleurdelisé,
sa couronne de poupée inclinée sur la tempe, il gisait, lèvres sombres, langes
souillés et viscères rompus, au milieu de l’immense lit couvert de soie. Le
bébé qu’on venait de présenter à tous comme le roi de France avait cessé de
vivre.
     

V

UN LOMBARD À SAINT-DENIS
    — Et maintenant, qu’allons-nous
faire ? se demandaient les Bouville.
    Ils se trouvaient piégés à leur
propre trappe.
    Le régent ne s’était guère attardé à
Vincennes. Rassemblant les membres de la famille royale, il les avait priés de
remonter à cheval et de l’escorter à Paris pour y tenir aussitôt conseil.
Bouville, alors que la troupe s’ébranlait, avait eu un sursaut de courage.
    — Monseigneur !…
s’était-il écrié en saisissant par la bride la monture du régent.
    Mais Philippe l’avait immédiatement
arrêté.
    — Mais oui, mais oui,
Bouville ; je vous sais gré de la part que vous prenez à notre affliction.
Nous ne vous reprochons rien, croyez-le bien. C’est la loi de l’humaine nature.
Je vous ferai porter mes ordres pour les funérailles.
    Et piquant son cheval, il s’était
mis au galop dès le pont-levis franchi. À pareille allure, ceux qui
l’accompagnaient auraient peu le loisir de réfléchir en route.
    La plupart des barons avaient suivi.
Il n’en demeurait que quelques-uns, les moins importants, les désœuvrés qui
s’attardaient, par petits groupes, à commenter l’événement.
    — Tu vois, disait Bouville à sa
femme, j’aurais dû parler sur l’instant même. Pourquoi m’as-tu retenu ?
    Ils se tenaient debout, dans une
embrasure de fenêtre, chuchotant et osant à peine se confier leurs pensées.
    — La nourrice ? reprit
Bouville.
    — J’y ai veillé. Je l’ai
entraînée dans ma propre chambre, que j’ai fermée à clef, et j’ai placé deux
hommes à la porte.
    — Elle ne se doute de
rien ?
    — Non.
    — Il faudra bien lui dire.
    — Attendons que tout le monde
soit parti.
    — Ah ! J’aurais dû parler,
répéta Bouville.
    Le remords de n’avoir pas suivi son
premier mouvement le torturait. « Si j’avais crié la vérité devant tous
les barons, si j’avais fourni la preuve sur-le-champ… » Il eût fallu pour
cela qu’il possédât une autre nature, qu’il fût homme de la trempe du
connétable par exemple ; il lui eût fallu surtout n’obéir pas à sa femme,
quand elle l’avait tiré par la manche.
    — Mais aussi pouvions-nous
savoir, dit madame de Bouville, que Mahaut mènerait si bien son coup, et que
l’enfant mourrait aux yeux de tous ?
    — Au fond, murmura Bouville,
nous aurions mieux fait de présenter le vrai, et de laisser le destin
s’accomplir.
    — Ah ! Je te l’avais bien
dit !
    — Eh oui, je le confesse. C’est
moi qui ai eu l’idée… Elle était mauvaise…
    Car maintenant, qui donc accepterait
de les croire ? Comment, à qui, pourraient-ils déclarer qu’ils avaient
trompé l’assemblée des barons en coiffant d’une couronne un enfant de
nourrice ? Il y avait du sacrilège dans leur acte.
    — Sais-tu ce que nous risquons,
à présent, si nous ne gardons pas le silence ? dit madame de Bouville.
C’est que Mahaut nous fasse empoisonner à notre tour.
    — Le régent était de concert
avec elle ; j’en suis sûr. Quand

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