Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
l’autre, ils s’agrippaient à la
pâture, de leurs petits ongles mous, et tétaient avec bruit. Généreuse, Marie
donnait au roi le sein gauche, réputé le plus riche.
    — Qu’avez-vous donc,
messire ? Vous semblez tout troublé, demanda-t-elle à Bouville.
    Il se tenait devant elle, appuyé sur
sa haute épée, ses mèches noires et blanches lui couvrant les joues et la
bedaine tendant sa cotte d’armes, gros archange débonnaire commis à la garde
difficile d’un enfançon.
    — C’est qu’il est si faible,
notre petit Sire, il est si faible ! dit-il tristement.
    — Mais non, messire, il reprend
bien, au contraire ; voyez donc, il a presque rattrapé le mien. Et toutes
ces médecines qu’on me donne me font un peu tourner le cœur, mais semblent fort
lui convenir [20] .
    Bouville approcha la main, et
caressa prudemment le petit crâne où se formait un duvet blond.
    — Ce n’est pas un roi comme les
autres, voyez-vous… murmura-t-il.
    Le vieux serviteur de Philippe le
Bel ne savait comment exprimer ce qu’il ressentait. Aussi loin qu’il remontait
en ses souvenirs et en ceux même de son père, la monarchie, le royaume, la France,
tout ce qui avait été la raison de ses fonctions et l’objet de ses soucis se
confondait avec une longue et solide chaîne de rois, adultes, forts, exigeant
le dévouement, dispensant les honneurs.
    Pendant vingt ans il avait avancé le
faudesteuil où siégeait un monarque devant lequel la chrétienté tremblait.
Jamais il n’aurait imaginé que la chaîne pût si vite se réduire à cet enfançon
rose, au menton barbouillé de lait, chaînon qu’on eût pu entre deux doigts
briser.
    — Il est vrai, dit-il, qu’il a
bien repris ; sans cette marque laissée par les fers, et qui déjà
s’efface, il se distingue assez peu du vôtre.
    — Oh ! Messire, dit
Marie ; le mien est plus lourd. N’est-ce pas, Jean deuxième, que tu es
plus lourd ?
    Elle rougit brusquement et
expliqua :
    — Comme ils se nomment tous les
deux Jean, j’appelle le mien Jean deuxième. Peut-être ne devrais-je pas ?
    Bouville, par machinale courtoisie,
caressa la tête du second bébé. Dans son geste, il effleura les seins de Marie.
Celle-ci se méprit sur le geste, comme sur le regard obstiné du gros
gentilhomme, et elle rougit plus fort. « Quand donc, se dit-elle,
cesserai-je d’avoir la chaleur au visage à tout propos ? Ce n’est point
chose déshonnête, ni provocante, que d’allaiter ! »
    En réalité, Bouville comparait les
deux bébés.
    À ce moment madame de Bouville
entra, tendant les vêtements pour habiller le roi. Bouville l’attira dans un
angle, en lui murmurant :
    — J’ai un moyen, je crois.
    Ils s’entretinrent à voix basse
quelques instants. Madame de Bouville hochait la tête, réfléchissait ; à
deux reprises, elle regarda dans la direction de Marie :
    — Demande-lui toi-même,
dit-elle enfin. Moi, elle ne m’aime pas.
    Bouville revint vers la jeune femme.
    — Marie, mon enfant, vous allez
rendre grand service à notre petit roi auquel je vous vois si attachée, dit-il.
Voici que les barons viennent pour qu’il leur soit présenté. Mais nous
craignons pour lui le froid, à cause de ces convulsions qui l’ont pris à son
baptême. Voyez l’effet s’il se mettait soudain à se tordre comme l’autre jour !
On aurait tôt fait de croire qu’il ne peut vivre, comme ses ennemis le
répandent. Nous autres barons sommes gens de guerre, et aimons que le roi fasse
preuve de robustesse même au plus jeune âge. Votre enfant, vous me le disiez
tout à l’heure, est plus gras et plus beau d’apparence. Nous voudrions le
présenter à sa place.
    Marie, un peu inquiète, regarda
madame de Bouville, qui s’empressa de dire :
    — Je n’y suis pour rien. C’est
une idée de mon époux.
    — N’est-ce point péché,
messire, que de faire cela ? demanda Marie.
    — Péché, mon enfant ? Mais
c’est vertu que de protéger son roi. Et ce ne serait point la première fois
qu’on présenterait au peuple un enfant solide en place d’un héritier chétif,
assura Bouville mentant pour la bonne cause.
    — Ne va-t-on point s’en
apercevoir ?
    — Et comment s’en
apercevrait-on ? s’écria madame de Bouville. Ils sont blonds l’un et
l’autre ; à cet âge tous les enfants se ressemblent, et se transforment
d’un jour sur le lendemain. Qui connaît le roi, en vérité ? Messire de
Joinville, qui n’y voit rien, le

Weitere Kostenlose Bücher