La Loi des mâles
Bouville de nous ouvrir Vincennes. Nous
monterons à cheval à midi.
Pour Mahaut, c’était l’occasion
attendue. Elle ne voulut personne que Béatrice pour l’habiller, et se coiffa
d’une couronne ; le meurtre d’un roi valait bien cela.
— Combien de temps penses-tu
qu’il faille à ta poudre pour avoir effet sur un enfant de cinq jours ?
— Cela, je ne sais pas, Madame…
répondit la demoiselle de parage. Sur les cerfs de vos bois, le résultat s’est
montré dans une nuit. Le roi Louis, lui, a résisté près de trois journées…
— J’aurai toujours, pour me
couvrir, dit Mahaut, cette nourrice que j’ai vue l’autre jour, belle fille, ma
foi, mais dont on ne sait d’où elle vient, ni qui l’a placée là. Les Bouville
sans doute…
— Ah ! Je vous comprends,
dit Béatrice en souriant. Si la mort n’apparaissait pas naturelle… on pourrait
accuser cette fille, et la faire écarteler…
— Ma relique, ma relique, dit
Mahaut avec inquiétude en se touchant la poitrine. Ah oui ! c’est bon, je
l’ai.
Comme elle sortait de la chambre,
Béatrice lui murmura :
— Surtout, Madame, n’allez pas
par mégarde vous moucher.
III
LES RUSES DE BOUVILLE
— Faites feux à bataille !
ordonnait Bouville aux valets. Que les cheminées flambent à crever pour que la
chaude se répande dans les couloirs.
Il allait de pièce en pièce,
paralysant le service en prétendant activer chacun. Il courait au pont-levis
inspecter la garde, commandait d’étendre du sable dans les cours, le faisait
balayer parce qu’il tournait en boue, venait vérifier les serrures qui ne
serviraient pas. Toute cette agitation n’était destinée qu’à tromper sa propre
angoisse. « Elle va le tuer, elle va le tuer », se répétait-il.
Dans un corridor, il se heurta à son
épouse.
— La reine ? demanda-t-il.
On avait administré les derniers
sacrements à la reine Clémence le matin même.
Cette femme, dont deux royaumes
célébraient la beauté, était défigurée, ravagée par l’infection. Le nez pincé,
la peau jaunâtre, marquée de plaques rouges de la taille d’une pièce de deux
livres, elle exhalait une odeur affreuse ; ses urines charriaient des
traces sanglantes ; elle respirait de plus en plus péniblement et
gémissait sous les douleurs intolérables qu’elle éprouvait dans la nuque et le
ventre. Elle délirait.
— C’est une fièvre quarte, dit
madame de Bouville. La ventrière assure que si elle franchit la journée, elle
peut être sauvée. Mahaut a offert d’envoyer maître de Pavilly, son physicien
personnel.
— À nul prix, à nul prix !
s’écria Bouville. Ne laissons personne qui appartienne à Mahaut s’introduire
ici.
La mère mourante, l’enfant menacé,
et plus de deux cents barons qui allaient arriver, avec leurs escortes !
Le beau désordre qu’on aurait tout à l’heure, et comme l’occasion serait
facilement offerte au crime !
— L’enfant ne doit point rester
dans la chambre qui jouxte celle de la reine, reprit Bouville. Je n’y puis
faire passer assez d’hommes d’armes pour le veiller, et l’on se glisse trop
aisément derrière les tapisseries.
— Il est bien temps d’y
songer ; où le veux-tu mettre ?
— Dans la chambre du roi, dont
toutes les entrées se peuvent interdire.
Ils se regardèrent et eurent la même
pensée ; c’était la pièce où le Hutin était mort.
— Fais préparer cette chambre
et activer le feu, insista Bouville.
— Soit, mon ami, je vais
t’obéir. Mais mettrais-tu cinquante écuyers autour, tu n’empêcheras pas que
Mahaut ait à porter le roi dans ses bras pour le présenter.
— Je serai auprès d’elle.
— Mais, si elle l’a résolu,
elle le tuera sous ton nez, mon pauvre Hugues. Et tu n’y verras mie. Un enfant
de cinq jours ne se débat guère. Elle profitera d’un moment de presse pour lui
plonger une aiguille au défaut de la tête, lui faire respirer du venin, ou
l’étrangler d’un lacet.
— Et alors, que veux-tu que je
fasse ? s’écria Bouville. Je ne puis venir déclarer au régent :
« Nous ne voulons point que votre belle-mère porte le roi car nous
redoutons qu’elle ne l’occise ! »
— Eh non, tu ne le peux !
Nous n’avons qu’à prier Dieu, dit madame de Bouville en s’éloignant.
Bouville, désemparé, se rendit dans
la chambre de la nourrice.
Marie de Cressay allaitait les deux
enfants à la fois. Aussi voraces l’un que
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